L’éthique de Spinoza
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« Par cause de soi… j’entends ce dont l’essence… enveloppe l’existence »… C’est par ces mots… que Spinoza commence son éthique… Et à vrai dire… ces mots sont à ce point obscurs… que celui qui les découvre pour la première fois… est forcément saisi d’effroi par l’ampleur de la tâche qui l’attend… Lire l’éthique… c’est une épreuve… et même un défi… L’un de ces défis… dont on n’est jamais vraiment sûr d’en venir à bout… Et de fait… c’est un livre qui exige de son lecteur… un effort considérable… Cela peut prendre des années pour le finir… et surtout pour le comprendre… D’une certaine manière… c’est un livre qui ouvre une porte… plusieurs portes même… et qui les referme aussitôt sur celui ou celle… qui n’aura pas le courage de persévérer… C’est un livre qui choisit ses lecteurs… et qui n’offre ses trésors… parce qu’on peut bel et bien parler de trésor… qu’à la fin… c’est à dire à ceux… qui auront su le mériter… Pourtant… c’est aussi un livre… qui une fois qu’on a passé le seuil… et qu’on est entré dans sa compréhension… ne nous lâche pas… et vers lequel on revient régulièrement… comme vers un ami… Une fois qu’on le comprend… il nous comprend lui… en retour… et même il nous fait beaucoup de bien… Je me revois moi-même… il y a des années… après une rupture amoureuse… une rupture particulièrement pénible… incapable de trouver le sommeil… et trouver dans l’éthique… des explications à mon malheur… et du réconfort pour soulager ma peine… Spinoza… c’est un vieil ami… qui nous explique… que rien de ce qu’il nous arrive… n’est à déplorer… qu’il n’y a aucune négativité dans la nature… et qu’il faut toujours voir les choses sous le regard plus haut… de la nécessité… l’Ethique… c’est un guide… un plan géométriquement parfait… une carte… efficace et précise… pour mener sa vie… Mais alors… comment entrer dans cette œuvre… si difficile… quand on la voit encore de l’extérieur… et qu’on aimerait bien selon le mot de Spinoza lui-même… comprendre ?…
Pour ce faire… il faut garder à l’esprit que l’Ethique… c’est d’abord le projet d’une vie… celle de Spinoza lui-même… Il le rédigea sur une période de plusieurs années… de 1661 à 1675… et n’en verra pas la publication… en 1677… puisque celle-ci interviendra juste après sa mort… En réalité… l’Ethique… correspond à l’aboutissement d’une démarche… A l’origine… il y a d’abord un autre livre… inachevé celui-là… intitulé Traité de la réforme de l’entendement… dans lequel Spinoza se posait simplement la question de savoir comment… et en vue de quel bien… il devait mener sa vie… Il énumère alors tous les biens qu’on peut posséder… comme les honneurs… la jouissance… et l’argent… et admet tout de suite… qu’à l’image de tous les autres hommes… il n’a aucune envie d’y renoncer… Simplement… il considère que mener sa vie uniquement en vue de ces biens-là… serait une erreur… car il est tout à fait possible de les perdre… Il observe que ce ne sont là que des biens périssables… L’enjeu pour lui… est donc de définir… quel serait un bien véritable… dans le sens où il ne pourrait pas être perdu une fois acquis… et qu’il pourrait nommer un souverain bien… Par souverain bien… comprenons donc… un bien… à tel point au-dessus de tous les autres… qu’il serait à la fois éternel… et qu’il suffirait à nous contenter… à nous apporter de la joie de façon continue chaque jour de notre vie… et de telle manière que nous n’ayons même plus besoin… ni des honneurs… ni de la volupté… ni de l’argent… Mais qu’est-ce qui peut remplacer cela concrètement ?… Et qui pourrait renoncer au confort… aux plaisirs de l’amour… et à la gloire… même s’ils sont vains et futiles ?… D’une certaine manière… on pourrait se dire… à bon droit… que Spinoza nous en demande beaucoup trop… et que peut-être même… il ne s’agit là que d’un beau discours de philosophe et rien de plus… De même… on est d’autant plus déconcerté… quand Spinoza définit le souverain bien… comme la connaissance… Et en effet… on est surpris… car on ne peut s’empêcher de se demander… très concrètement… comment la connaissance pourrait contrebalancer tous les autres biens ?… Comment la connaissance… pourrait-elle nous satisfaire de manière aussi intense ?… Comment pourrait-elle avoir le pouvoir de nous transformer et de nous rendre joyeux ?… et même de nous permettre de vivre une vie parfaite ?… Or… c’est précisément pour répondre à ces questions… que Spinoza va se lancer dans l’Ethique… et qu’il va construire une démonstration dotée d’une architecture géométrique… avec des parties… des définitions… des propositions… des scolies… des lemmes… et le tout organisé selon un enchaînement strict et parfaitement rationnel… L’Ethique… c’est sans doute le sommet de la philosophie rationaliste… Simplement… il ne s’agit en rien d’une démonstration déconnectée de la réalité… mais justement d’un retour à ce qui constitue le réel… et partant… d’un chemin pour savoir mener sa vie… C’est d’ailleurs pourquoi cela s’appelle simplement… Ethique…
Comprenons bien ici… que l’Ethique… ce n’est pas la même chose que la morale… Quand la morale… consiste à définir des valeurs absolues et des commandements… auxquels il faut obéir sans discuter… Une éthique… c’est au contraire une manière de choisir ses propres valeurs par soi-même… et par le seul exercice de son esprit… En clair… une éthique… c’est un art de vivre… une technique pour savoir comment mener sa propre vie… non pas en vue d’un bien absolu… mais en vue de ce qui est bien pour soi… ce qui est à la fois plus raisonnable et plus réaliste… mais sans tomber non plus dans le relativisme… Il ne s’agit plus de savoir ce qu’est le Bien et le mal… compris comme des valeurs universelles… mais de comprendre… ce qui est bon ou mauvais… pour soi… A terme… l’enjeu… est de savoir orienter sa vie… vers ce qui nous permettra de nous épanouir… et de ressentir de la joie… et dans le même temps à l’inverse… d’éviter tout ce qui pourrait nous faire ressentir de la tristesse… et donc nous amoindrir… voire nous détruire… Il faut donc comprendre… que l’éthique… propose une philosophie pour la conduite de l’existence… Or… tout le problème des hommes… constate Spinoza… c’est qu’ils peuvent très bien savoir au fond d’eux-mêmes… ce qui est bon pour eux… et dans le même temps… préférer quand même… aller vers ce qui est mauvais… Et cela… comme s’ils étaient irrémédiablement attirés… par des choses qui les réduisaient à la servitude… L’exemple du tabac… ou celui de l’alcool… qui plus exactement celui donné par Spinoza lui-même… sont ici parmi les plus évidents… pour bien comprendre de quoi il s’agit… Comme disait Ovide… « je vois le meilleur… je l’approuve… et pourtant… c’est le pire que je fais »… Fin de citation… En clair… faire le pire… c’est donner son assentiment à ce qui est mauvais pour soi… et donc… à coup sûr… se vouer à la tristesse… et à terme à la destruction de soi…
Si les hommes agissent de cette manière… en donnant leur assentiment à ce qu’il y a de pire pour eux… c’est que la connaissance qu’ils ont des choses… est presque toujours inadéquate… mutilée… incomplète… D’une manière générale… Spinoza considère que… ce que les hommes tiennent pour des connaissances… sont en réalité… de l’ignorance pure et simple… En un mot… les hommes sont ignorants de naissance… ils se trompent quasiment sur tout… Mais pire encore… certains trompent les autres… et notamment ceux qui… en toute probité intellectuelle… tentent d’accéder à la connaissance… Dans le viseur du philosophe… il y a tous les fanatiques… qui expliquent tout… le monde… l’univers… la nature… par Dieu… et la divine providence… Pour Spinoza… dire que le monde existe… parce que c’est Dieu qui l’a voulu… c’est l’asile de l’ignorance… c’est à dire… le dernier refuge de ceux qui ne veulent pas avouer qu’ils ignorent tout des véritables causes de l’existence du monde… Or… Spinoza ne veut pas se soumettre aux mensonges qu’on lui présente comme des vérités… Il s’agit donc d’emblée de redéfinir l’idée de Dieu… dans un sens différent de celui des religions… Spinoza nous explique… que le monde dans sa totalité… ne tient pas son existence d’une volonté divine extérieure à lui-même… Il n’y a pas de Dieu en dehors de la nature… et on comprend pourquoi il n’a pas publié son livre de son vivant… lui qui subissait déjà les menaces des fanatiques… et a failli mourir assassiné… Il n’y a pas de dieu extérieur au monde… et qui serait doué comme un homme… d’une volonté… De même… Dieu n’est pas à comprendre comme une sorte de roi au pouvoir absolu… Ce sont les hommes qui lui ont donné cet aspect… avec une volonté… et un soit-disant pouvoir de faire telle ou telle chose… ou au contraire de ne pas les faire… D’une manière générale… les hommes ont une conception anthropomorphique de Dieu… Mais en réalité explique Spinoza… Dieu est une puissance impersonnelle… qui n’a aucune volonté particulière… Pour Spinoza… Dieu c’est la nature… Deus sive natura… dit-il en latin… ce qui signifie littéralement Dieu ou la nature… pour renvoyer l’un à l’autre… et inversement… Il n’y a pas d’autre Dieu que la nature elle-même… Pourquoi la nature est-elle divine ?… Et bien d’abord parce que les lois qui la définissent sont valables de toute éternité… elles sont éternelles… Elles ne changent pas… elles ne sont pas soumises aux époques… Ensuite… parce que la nature est un principe… qui non seulement se produit lui-même… mais aussi produit tout ce qui existe… Il ne s’agit pas d’un pouvoir… au sens politico-juridique… mais d’une puissance… en acte… qui réalise tout ce qu’elle est capable de réaliser… et cela sans s’arrêter… sans cesse… Cela signifie que si la nature produit des êtres… ce n’est pas parce qu’elle a décidé de le faire… et qu’elle en a l’autorité… mais parce que c’est son essence même de produire… Elle est puissance… Enfin… parce que la nature… c’est la nécessité même… Elle ne peut pas ne pas être… De même… tout ce à quoi elle donne naissance… ses conséquences… sont également nécessaires… en tant qu’elles sont conséquences de sa puissance en acte… laquelle se déploie à tout instant… La question de savoir pourquoi le monde existe par exemple… n’a aucun sens pour Spinoza… Le monde existe parce qu’il ne peut pas en être autrement… Il est la conséquence de la puissance même de la nature… qui est cause de toutes choses… Et ainsi… on peut voir toute chose singulière… sous l’aspect de l’éternité de la nature… Toute chose possède en elle-même une part de cette éternité… Prenons un exemple ici pour bien comprendre… si vous regarder une chose dans la nature… disons un arbre… pour Spinoza… vous pouvez le regarder sous deux angles différents… deux points de vue… Le premier point de vue… c’est son aspect provisoire… Tout être et toute chose au sein de la nature est provisoire… fini… et mortel… Son existence est limitée… et il est voué à mourir et à disparaître… Mais à côté de ça… vous pouvez voir cet arbre sous un autre angle… c’est à dire cette fois… comme une modalité de la nature tout entière… Il est une partie de la nature… Et de ce point de vue là… cet arbre… ne pouvait pas ne pas être… Il était nécessaire qu’il apparaisse à cet endroit-là… et qu’il prenne cette forme précise… parce qu’il est le produit de toutes les causes qui l’ont déterminé… Et en ce sens… il s’inscrit dans le cadre beaucoup plus large… et éternel de la nature… qui elle… ne disparaît jamais… Tout le propos de Spinoza… est donc de dire… qu’il y a de l’infini… dans le fini… de l’éternel… dans tout être singulier… et donc dans tout ce que la nature produit… dans tout ce à quoi elle donne naissance… Tout être… est à la fois fini… et infini… selon l’angle sous lequel on le considère… Fini du point de sa singularité… infini du point de vue de la nature dont il fait partie…
Pour le dire très simplement… la nature… c’est un principe d’intelligibilité… c’est à dire… ce par quoi… on peut comprendre tout le reste… Jusque-là… ce principe d’intelligibilité… c’était le dieu des religions… Avec lui… c’est la nature qui est Dieu… Spinoza dit… qu’elle est la seule substance qui existe… Expliquons ce que cela veut dire ici… Une substance… c’est un mot qui vient du latin… sub-stancia… qui signifie littéralement… ce qui tient par en-dessous… comme un support si vous voulez… Quand Spinoza dit que la nature… est la seule substance… cela veut dire… que rien ne vient au monde par hasard… ou tout seul… Rien ne tient tout seul… indépendamment de la nature… Tout fait partie de la nature… et apparaît en fonction d’elle… à travers un enchaînement de causes… dont une chose… n’est que l’effet… Rien n’existe… qui soit en dehors de la nature… Pour reprendre sa terminologie… toute chose se définit comme un mode de la nature… c’est à dire… si vous préférez… une manifestation de la nature… L’homme est un mode de la nature… les animaux sont d’autres modes… les végétaux d’autres modes encore… et ainsi de suite pour une infinité de modes… dont nous ne connaissons même pas l’existence selon Spinoza… Tous ces modes… sont des manifestations… des formes… d’une seule et unique substance… la nature… Et ils apparaissent encore une fois… en fonction de causes précises… La plupart du temps… nous ignorons la totalité des causes à l’origine des choses… Elles nous échappent… mais elles sont bien réelles… La nature… ce n’est rien d’autre que la somme de la totalité des causes… de l’ensemble de ce qui existent… le système solaire… les planètes… les étoiles… les hommes… les animaux… et ainsi de suite… Or… pour Spinoza… tout ce qui existe… en tant que partie de la nature… est du même coup… parfaitement nécessaire… c’est à dire que tout ce qui existe ne pouvait ne pas exister… Là encore… il faut insister… demandons-nous une nouvelle fois pourquoi ?… D’où vient cette puissance de la nature ?…
Comprenons bien que la question que pose Spinoza n’est pas celle des autres philosophes… qui à la manière de Descartes se demandent si Dieu existe… et cherchent à prouver son existence… Pour lui… l’existence de Dieu… c’est un fait… Mais dans la mesure… où dieu c’est la nature… il faut considérer sa puissance… non pas sous la forme d’une volonté… mais d’un déterminisme absolu… Tout ce qui arrive dans la nature… n’est pas l’effet du hasard… ni d’une volonté divine… mais simplement l’effet des lois de la physique… ni plus ni moins… Et ainsi… tout dans la nature… tout phénomène… étant parfaitement déterminé par des causes qui lui préexistent… ne pouvait pas ne pas exister… La puissance de Dieu… c’est ce déterminisme implacable… Or… si tout est déterminé… tout devient parfaitement connaissable… On peut tout connaître dans la nature… En ce sens… la connaissance de Dieu pour Spinoza est à la portée de l’homme… Là encore… le philosophe est porteur d’un scandale… car il s’élève contre toute une tradition théologique… qui affirme justement que l’homme… ne peut pas connaître Dieu… Et si l’homme pense s’élever à la connaissance de Dieu… c’est qu’il est impie… voire fou… Pour Spinoza… au contraire… Dieu est connaissable car il n’est rien d’autre que la nature elle-même… Il refuse que l’ignorance soit une vertu… Il n’y a aucune vertu à accepter de ne pas savoir… et encore moins à mentir… La raison humaine est parfaitement capable de s’élever à l’idée de Dieu… Encore une fois… comme je le disais tout à l’heure… l’enjeu de l’éthique… c’est de trouver le souverain bien pour accéder à la vie la plus joyeuse et la plus puissante… Souverain bien… que Spinoza a lui-même défini… comme la connaissance… Mais alors connaissance de quoi exactement ?… Et bien justement… connaissance de Dieu… c’est à dire de la nature… laquelle est la seule garantie à une vie véritablement bonne… Mais là encore pourquoi connaître la nature permet-elle la meilleure vie possible ?… Réponse…. Parce que la connaissance de ce qu’est la nature en elle-même… permet de se libérer des mensonges… et de sortir de la servitude… D’une manière générale… Spinoza pense que les hommes ne sont pas libres… Ils viennent au monde ignorants… sans aucune connaissance… Ils sont ensuite soumis aux mensonges de ceux qui veulent les soumettre à des croyances qu’ils présentent comme des vérités… Comprenons bien que derrière l’enjeu théologique… se cache aussi un enjeu politique… car la superstition… et la représentation d’un dieu qui serait comme un souverain.. c’est aussi pour Spinoza… la possibilité pour un état par exemple… de maintenir les hommes dans l’ignorance… et de les amener à accepter n’importe quoi… y compris ce qui va contre leur propre intérêt… et à combattre pour leur propre servitude… comme s’il s’agissait de leur liberté… Ce à quoi il s’en prend… c’est l’ensemble des doctrines… religieuses… ou politiques… qui consistent à maintenir les hommes dans leur état d’ignorance… et donc à les asservir… en leurs faisant croire à toutes sortes de fausses croyances sur le monde… et sur la nature…
Ces fausses croyances… c’est d’abord ce qu’on appelle le finalisme… et ensuite anthropocentrisme… De quoi s’agit-il exactement ?… Pour le dire très simplement… le finalisme… c’est une conception de la nature qui consiste à dire que tout ce qui existe en son sein… existe pour… servir à quelque chose… et donc… que tout a une fin… c’est à dire une finalité… L’idée du finalisme… c’est de dire que le monde lui-même… dans sa totalité… a un but… et qu’il se dirige vers une fin… qui a été voulue par Dieu… Or… pour Spinoza… une telle idée est une absurdité… Pour lui… il n’y a pas de fin au sein de la nature… pas de but à atteindre… La nature est juste une puissance… comme on l’a vu… qui se réalise elle-même… et c’est tout… Elle se réalise tout en étant aveugle… et étrangère à toute idée de finalité… Elle va… mais ne sait pas où elle va… La conséquence… c’est qu’il n’y a pas non plus d’intelligence au sein de la nature… voire de mauvais œil… avec un plan prédéfini… et auquel les hommes devraient se plier… Tout cela relève de la superstition pour Spinoza… De même… on peut exclure toutes valeurs absolues… toute idée de Bien ou de mal… qui n’ont aucune existence réelle… comme je le disais tout à l’heure… car rien dans la nature n’est… ni Bien ni mal… Tout est simplement… bon ou mauvais… pour soi… en tant qu’homme… Par exemple… un serpent au venin mortel n’est pas un mal en lui-même… Il est simplement mauvais pour nous si on le rencontre… et surtout s’il nous mord… Mais rien en lui… n’est ni moral ni immoral… Il fait partie de la nature… tout comme l’homme… et c’est donc à ce dernier d’éviter de croiser la route du serpent… Pour le dire comme Spinoza… il y a dans la nature… ce qui peut être utile… et ce qui peut être nuisible… pour l’homme… Dès lors… cela implique… une autre erreur… celle de l’anthropocentrisme… qui consiste quant à elle… à considérer que tout dans la nature… jusqu’à la nature elle-même dans sa totalité… est là pour servir l’homme… qui en serait pour ainsi dire le centre… Le résultat… c’est que quand quelque chose dans la nature lui fait obstacle… il le prend pour un défaut de la nature… une défaillance… voire une incomplétude… ou même un vice… Or… l’homme n’est au centre de rien… et surtout pas de la nature… En ce sens… comprenons bien encore une fois… qu’il fait partie de la nature… Il en est un des modes… tout comme les animaux ou les végétaux… mais rien ne le destine à être au centre de quoi que ce soit… tout simplement parce qu’au sein de la nature… il n’y a pas de centre du tout… La nature est en elle-même dépourvue de centre… Or… c’est l’homme qui… de lui-même… a non seulement assigné au monde un but à atteindre… une finalité… qu’il a assimilé à une soit-disant volonté de Dieu… Et c’est encore l’homme… qui s’est lui-même placé au centre de la nature… sans fondement… et de façon illégitime…
Or… se libérer de ces préjugés… de ses mensonges… et de ses illusions… c’est tout simplement revenir au monde tel qu’il est… C’est le voir tel qu’en lui-même… et sans les lunettes déformantes imposées par les doctrines de toutes sortes… Il s’agit de ne plus voir le monde en fonction de soi… mais pour ce que le monde est en lui-même… Le monde n’est pas là… pour faire plaisir à l’homme… Charge à l’homme lui-même d’y faire son chemin… sans rien attendre ni du ciel… ni des choses… et en s’orientant… avec sa raison pour seule guide… Et ainsi… en comprenant la nécessité à l’oeuvre dans le monde… on n’en souffre plus… et cela nous permet d’agir… Le lien entre connaissance et action… est donc fondamental… De même… on comprend mieux ici… la grande idée méthodologique de Spinoza… qui consiste à commencer par définir la nature elle-même… dans sa totalité… pour mieux comprendre l’homme ensuite… qui n’en est qu’une partie… une modalité… Comprendre la puissance de la nature d’abord… c’est se donner les moyens de saisir la place et le fonctionnement de l’homme ensuite… Pourquoi ?… Et bien simplement parce qu’il s’agit de respecter l’ordre causal des choses… C’est la nature qui détermine l’homme… et non l’inverse… Il lui est impossible à l’homme d’échapper aux lois de la nature… sous prétexte qu’il possède un entendement… A la différence de Descartes… Spinoza pense que ce n’est pas parce que l’homme a un entendement… et qu’il est capable de penser… qu’il échappe à la nature…
Pour Descartes… cette opposition entre l’homme et la nature… avait eu pour effet… d’en faire apparaître une autre… entre corps et esprit… Spinoza n’est d’accord avec le philosophe français… ni sur la premier de ces oppositions… ni la seconde… Il est donc question pour lui… ici… de répondre… à un problème que Descartes avait posé dans ses méditations… mais sans avoir trouvé de solution… le problème de la relation entre le corps et l’esprit… Pour Descartes… corps et esprit sont séparés… et l’esprit est capable de commander au corps… et donc de lui imposer sa volonté… Mais cela pose un immense problème… à savoir… que si les deux sont séparés… comment peuvent-ils agir l’un sur l’autre ?… En réalité… c’est même un problème insoluble… parce que dès qu’on envisage… l’homme en terme de séparation en deux instances… corps et esprit… on en perd l’unité… C’est tout le problème de Descartes dans les méditations… Or… pour Spinoza… un tel problème n’a pas de sens… dans la mesure où pour lui… il n’y a aucune séparation entre corps et esprit… Tout d’abord… pour Spinoza… corps et esprit pour un même individu… ne sont qu’une seule et même chose… L’esprit… c’est en ce sens l’idée du corps… Pour parler de l’esprit… il faut donc passer par la compréhension du corps… et ce qui est une véritable révolution philosophique… qui laisse déjà entrevoir la pensée de Nietzsche… et ensuite de la psychologie des profondeurs… En clair… la compréhension du corps humain… dans sa composition même… occupe une place fondamentale dans l’Ethique… tout simplement parce qu’il ne peut pas y avoir d’esprit sans corps… Si l’homme est esprit… cet esprit est l’idée d’un corps… le sien… C’est pourquoi Spinoza développe… dans la partie II de l’Ethique… toute une théorie du corps humain… qu’il décrit… comme une totalité complexe… composée d’un très grand nombre de parties… et dont l’équilibre peut être remis en cause quand il rencontre des affections… c’est à dire toutes sortes de désirs… D’une certaine manière… il s’agit d’une pensée de la santé du corps… Or… tout le problème… est que le corps rencontre sans cesse des affections… qui excitent certaines de ses parties au détriment des autres… et donc déstabilisent son organisation générale… en colonisant littéralement la totalité du corps… Par exemple… une boisson excite votre palais… alors qu’est-ce que vous allez faire… vous allez en reprendre une… et une autre… et ainsi de suite… A la fin… dans le pire des cas… le risque est de devenir esclave de cette boisson… Le résultat c’est que la totalité du corps… est colonisé par l’excitation d’une de ses parties… Et ainsi… on comprend que les affections… empêchent l’individu de passer à une plus grande puissance d’agir… C’est ce qu’il appelle une joie passive… parce qu’en l’occurrence… elle le réduit à la servitude… Et cela parce que si le corps et l’esprit ne font qu’un… quand le corps est colonisé par une passion triste… l’esprit l’est tout autant… ce qui nous réduit à la servitude… Alors… comment faire le tri entre ces affections… et ainsi reconquérir de la puissance d’agir ?… c’est ce qui constitue le coeur du projet spinoziste… Il faut donc se demander… comment est-ce que cela fonctionne exactement ?…
Tout d’abord… gardons bien à l’esprit que tout le propos de Spinoza… est de replacer l’ensemble des comportements humains… dans le cadre de la nature elle-même… Et en ce sens… les conduites humaines n’ont rien de mystérieux… Ce sont des choses naturelles… qui suivent l’ordre ordinaire et commun de la nature… Les passions qui agitent les hommes… sont donc parfaitement compréhensibles… et on peut tout à fait les rationaliser… et même pour ainsi dire… les cartographier de manière géométrique… Les passions… qui pourtant… sont précisément ce qui débordent l’homme… n’échappent donc en rien à la raison… On peut les comprendre… et ainsi les combattre… puisqu’elles ne sont rien d’autre que la nature elle-même… dans l’homme… La nature en ce sens… ce n’est pas simplement ce qu’il se passe en dehors de l’homme… La nature… c’est aussi ce qu’il se passe en lui… Et donc… la nature ce n’est pas simplement la matière… La nature c’est aussi la pensée… L’idée derrière ça bien sûr… c’est toujours la même… c’est à dire le fait que la nature se présente comme un déterminisme absolu… auquel il est impossible d’échapper… Si les hommes connaissent des passions douloureuses… qui les font souffrir… et qui les poussent à faire souffrir les autres… ce n’est donc pas parce qu’ils auraient choisi librement d’agir en ce sens… mais simplement… parce qu’ils sont déterminés à le faire… en fonction de ce qui se passe dans leur corps… Nous ne choisissons rien… mais nous obéissons aux lois qui régissent nos affects… Il s’agit donc pour Spinoza… d’élaborer ce qu’on pourrait appeler une anthropologie… c’est à dire une étude de l’homme… pour comprendre le fonctionnement de ses affects… et c’est ce qu’il fait dans les parties III et IV de l’Ethique… d’abord… dans la partie III pour préciser l’origine et la nature des affects… et les décrire en eux-mêmes… et ensuite dans la partie IV… pour les considérer cette fois comme une dynamique de forces… qui luttent entre elles… et qui réduisent l’homme à la servitude… Pour le dire très simplement… tous les affects que nous ressentons… c’est à dire ce qu’on appellerait nous… nos émotions… sont toujours le fruit de la combinaisons de 3 affects primaires avec des objets extérieurs… Ces 3 affects primaires… ce sont le désir… la joie et la tristesse… Ainsi… l’amour par exemple… se définit comme une joie… qui s’accompagne de l’idée d’une cause extérieure… comme une personne… Parmi les affects… citons par exemple… pour comprendre de quoi nous parlons ici… la haine… le désespoir… la crainte… l’indignation… l’orgueil… le mépris… la honte… la colère… la cruauté… l’ambition… l’intempérance… etc.… lesquels sont toujours issus des 3 affects primaires… Mais le plus fondamental des 3… c’est le désir… parce c’est lui constitue pour Spinoza… l’essence même de l’homme… ou si vous préférez son être même… Tout homme… c’est du désir… ce que Spinoza appelle aussi appétit… en tant que l’homme est conscient de son appétit… Il ne s’agit pas d’un désir de quelque chose en particulier… d’un objet extérieur à lui… mais d’un désir de persévérer dans son être… c’est à dire là aussi pour le dire simplement… de vivre… Il s’agit d’un appétit pour la vie… La conséquence… c’est que quand notre désir se rapporte à une chose… nous ne désirons pas la chose… parce qu’elle est bonne en elle-même… C’est l’inverse qui est vrai pour Spinoza… nous la jugeons bonne… parce que nous la désirons… Ou si vous préférez… le désir est toujours premier… C’est seulement ensuite que nous nous donnons des objets… vers lesquels orienter notre désir… En d’autres termes encore… quand nous désirons une chose… ce n’est pas la chose en tant que telle que nous désirons… c’est plus largement la vie elle-même… Tout homme désire spontanément vivre… et comprenons même celui qui se suicide… Le suicidé… c’est toujours un homme qui est poussé à ce geste… (ce n’est pas qu’il le veuille spontanément et de façon naturelle)… mais c’est plutôt qu’il a rencontré une cause extérieure à lui-même… qui est une tristesse… qui le pousse à le faire… Et en ce sens… le suicidé n’est pas libre… A partir du désir de persévérer dans son être… commun à tous… la joie et la tristesse… se présentent comme des signes… soit que l’on y parvient… pour la joie… soit au contraire… que l’on échoue… pour la tristesse… Eprouver de la joie… c’est sentir la vie en soi… A l’inverse… ressentir de la tristesse… c’est la marque d’un amoindrissement… d’une perte de vitalité… La rencontre des causes extérieures… c’est à dire des personnes… des objets… bref… tout ce qui se présente dans le monde… va faire apparaître en nous… par combinaison… soit des affects joyeux… soit des affects tristes… Simplement… quand nous faisons la rencontre d’une cause extérieure… disons une personne qui nous agace par exemple… nous imaginons au moment où nous vivons la rencontre… que cette personne constitue à elle seule… la totalité causale de notre affect d’agacement… Nous imaginons que ce qui provoque de l’agacement en nous… c’est cette personne elle-même… en raison de son comportement… comme si elle avait d’elle-même décidé librement de nous agacer… Mais en réalité… expliquerait Spinoza… l’affect que nous éprouvons ici est trompeur… car la personne n’a absolument pas choisi d’avoir tel ou tel comportement… Sa manière de se comporter… est simplement le produit d’un enchaînement de causes… qui ne lui laisse aucun choix… et qui fait qu’elle ne peut pas… se comporter autrement… Tout simplement… elle n’est pas libre… Comprendre… c’est saisir une chose… par ses causes… Il s’agit donc de comprendre le déterminisme absolu au sein de la nature… c’est à dire précisément ce que nous ne voyons pas d’une manière générale… au quotidien… pour nous libérer négatif… et qui provoque en nous un amoindrissement… comme ici l’agacement… D’une manière générale… nous imaginons toujours spontanément… que nous sommes libres… et donc que les êtres autour de nous le sont également… Nous imaginons qu’ils sont capables de faire des choix… S’ils sont comme ils sont… ou qu’ils agissent comme agissent… nous l’interprétons spontanément comme le fruit d’un choix libre et délibéré… Nous ne voyons pas le déterminisme derrière les êtres et les événements… nous ne voyons pas la nécessité… c’est à dire encore une fois… le fait que les choses ne peuvent pas être autrement que ce qu’elles sont… C’est pourquoi… pour Spinoza… l’intervention de la raison… pour replacer les choses dans le contexte plus large… des enchaînements de causes… permet d’introduire de la clarté dans le monde… Le résultat… c’est qu’on ne voit plus le monde de la même manière… car… en replaçant chaque chose dans le contexte des causes qui l’ont précédé… et donc dans le contexte du déterminisme de la nature… et non de la volonté… on acquiert de chaque chose… une connaissance adéquate… Et en effet… on commence à comprendre pourquoi… et comment… la connaissance rationnelle… permet de changer notre regard… et donc notre manière d’être… au sein du monde… Plus rien ne nous touche directement…
Maintenant… l’acceptation de la nécessité… revient-elle à accepter les choses telles qu’elles sont… sans agir ?… Cela nous prive-t-il de toute action ?… Pour Spinoza… la nature… dans sa réalité… est en elle-même parfaite… Il n’y a rien… ni à lui retirer… ni à lui ajouter… En revanche… l’homme doit faire un effort pour progresser dans la connaissance de ce qu’est la nature… indépendamment de lui et du besoin qu’il en a… afin d’apprendre à vivre en harmonie avec elle… La réalité de la nature c’est donc la perfection même… et tout ce qui s’y prend place… relève de la perfection… Voilà qui est étonnant… au premier abord… et les contradicteurs de Spinoza… Car dire que tout est parfait dans le monde… c’est aussi accepter le pire… la guerre… les crimes… les pires atrocités… et d’une certaine manière… considérer toutes ces choses comme relevant de la nature… Mais en réalité… rien ne serait plus étranger à ce que dit Spinoza… que de penser qu’aucune action n’est possible… Il ne s’agit pas pour lui… de nous condamner à la passivité… Mais plutôt de nous dire que… devant la nécessité des choses… il faut se préparer… à voir revenir les mêmes effets… produites par les mêmes causes… Et ensuite… à agir sur ces causes elles-mêmes… quand elles produisent des effets nuisibles… Au fond… il est question de faire entrer en soi… littéralement d’incorporer… de faire entrer dans son corps… des vérités… qu’on a non seulement comprises… mais aussi dont on ressent en nous la nécessité… à la manière d’automatismes… C’est en ce sens… que dans la pensée de Spinoza… il y a encore de la place pour la liberté… Spinoza… ne dit jamais que la liberté n’existe pas… sous prétexte que la nature se définit comme une nécessité absolue… C’est simplement… que la liberté humaine consiste en une coïncidence avec la nécessité… la nécessité de la nature tout entière d’abord… mais surtout sa nécessité à soi… en tant qu’individu… Ou si vous préférez… la liberté pour Spinoza… consiste à adhérer à la nécessité qui est la nôtre… d’être ce que nous sommes… et de persévérer dans notre être… La liberté pour Spinoza… c’est de ne pas être empêché de faire… ce pour quoi on est fait… et donc de déployer notre puissance… de faire advenir tout ce qu’on est capable de faire… Il convient donc de nous diriger… toujours grâce à la raison… vers ce qui est utile… (utile à la préservation de notre être)… parce ce que cela provoque en nous de la joie… et de nous éloigner de ce qui nous est nuisible… et qui fait naître en nous de la tristesse… Là encore… arrêtons-nous un instant… pour saisir le fonctionnement d’un tel arbitrage… entre les passions qui nous permettent de nous épanouir… et au contraire… celles qui nous détruisent…
Comprenons bien que l’esprit de l’homme… est un champ de forces dans lequel les affects sont en lutte les uns contre les autres… Pour contrebalancer un affect triste… il faut un affect plus puissant… Or… tout le problème est que toutes ces forces… sont autant d’affirmations contradictoires… que rien ne peut venir arbitrer… La raison en ce sens… n’est rien d’autre qu’une passion comme les autres… une passion froide… mais une passion quand même… Elle n’est pas une instance extérieure au champ de forces lui-même… et qui s’imposerait de sa seule autorité… Toute la question est donc de savoir comment la raison peut nous aider à sortir de la servitude que font peser sur nous les passions destructrices… Réponse… ce qui fait la puissance de la raison… par rapport aux autres passions… c’est qu’en nous montrant la nature du point de vue de sa nécessité… elles nous les fait comprendre… ce qui crée en nous… de la joie… Très concrètement… le fait même de comprendre quelque chose… en utilisant sa raison… nous rend joyeux… La raison… est un affect… qui s’impose aux autres… non pas parce qu’elle serait extérieure… et qu’elle leur imposerait des commandements… (ce n’est pas le cas)… mais parce qu’elle est plus puissante pour créer de la joie… tout simplement… C’est pourquoi comprendre une idée vraie… contient plus de puissance… que de se laisser aller à ses croyances toutes faites… parce qu’en la comprenant… j’en ressens une joie profonde… comme si j’avais découvert quelque chose… une sorte de trésor… qui n’est rien moins qu’une vérité de la nature… Il ne s’agit de découvrir la vérité de toute la nature… du moins pas d’un seul coup… mais au moins une partie… et cela me donne l’envie d’en savoir plus… et donc d’aller toujours loin dans la connaissance… ce qui me rend toujours plus joyeux… Il faut comprendre cette joie ici… comme une élévation progressive… La joie a elle-même pour effet… de contrebalancer… les affects négatifs… et de s’imposer à eux… pour les amoindrir… et les réduire le plus possible… Et donc… en comprenant les passions qui me faisaient jusque-là souffrir… dans leur fonctionnement même… je me sens mieux… C’est de cette manière… qu’il s’agit de combattre les affects qui s’accompagnent de tristesse… et donc de gagner en puissance d’agir… c’est à dire de reprendre une part de liberté… C’est pourquoi la liberté passe par la connaissance… La raison en ce sens… n’est pas uniquement intellectuelle… Elle a un pouvoir qui permet de modifier l’état du corps… Changer l’ordre des idées… c’est atteindre… et modifier les affections dans le corps… puisque corps et esprit ne sont qu’une seule et même chose… Simplement… tous les hommes ne sont pas appelés à y parvenir… car tous ne peuvent pas vivre selon l’usage de la raison… Seuls certains pourront le faire… Mais quel sera le gain pour eux… là encore… concrètement ?…
Ce gain… on pourrait même dire… cette perspective générale… vers laquelle nous conduit toute l’Ethique… c’est la joie elle-même bien sûr… et au-delà… ce que Spinoza appelle… la Béatitude… Souvenons-nous là encore… que l’Ethique… se présente sous la forme d’un parcours intellectuel… que Spinoza nous invite à refaire par nous-mêmes… en suivant l’ordre de sa démonstration… Et ce chemin nous conduit concrètement… à mettre en échec les passions tristes… par leur compréhension rationnelle… et ainsi à une plus grande puissance d’agir… ce qui passe par la joie… et culmine dans la béatitude… Comprenons bien la différence ici entre les deux concepts… La joie… c’est ce qu’on ressent… quand on passe d’un moindre… à un plus haut degré de perfection… En clair… quand on remplace les idées fausses et les passions tristes… par des idées adéquates… qui sont sources de passions joyeuses… La joie… c’est le signe même de ce passage… La béatitude… elle… c’est la perfection même… vers laquelle la joie ne fait que tendre… Elle est pour ainsi dire hors du temps… car c’est ce qu’on ressent quand on considère la nature… non plus du simple point de vue des effets qu’on a sous les yeux… mais du point de sa nécessité… et donc de vérité rationnelle… et de son éternité… On voit la nature… Sub specie aeternatatis… dit Spinoza… c’est à dire… sous un regard d’éternité… Il ne s’agit pas pour Spinoza… de dire que l’esprit est éternel… et qu’il survit au-delà de la mort… Mais plutôt que… quand on modifie notre regard sur le monde… et sur ce qui nous arrive… au moyen de la raison… on s’élève à quelque chose… qui elle… est éternelle… c’est à dire la nécessité même des choses au sein de la nature… Il s’agit de considérer les choses… indépendamment de soi… et donc de sa propre finitude… C’est en cela que consiste notre capacité à nous élever à une certaine forme d’éternité… Autrement dit… nous qui sommes des êtres finis… nous avons la possibilité… d’accéder à ce qui demeure éternellement… à savoir les idées vraies… Or… rien ne peut enrichir l’esprit comme les idées vraies… le satisfaire davantage… et donc le rendre plus joyeux… dans la mesure précisément… où nous ne pouvons pas les perdre… L’enjeu du départ… était bien de trouver un souverain bien… quelque chose… qui demeurait éternellement… et que rien ne pourrait nous enlever… ni détruire… La réponse de Spinoza… c’est que faire l’expérience des choses éternelles par la puissance de l’entendement… c’est du même coup toucher la part d’éternité qui est en nous… c’est à dire… notre propre esprit…
Merci à tous et à très bientôt sur Kosmos !