Les pensées de Marc-Aurèle
Bonjour à tous et bienvenue sur Kosmos !
Avant d’en venir à Marc-Aurèle aujourd’hui… permettez-moi d’avoir une petite pensée pour les 50 000 premiers abonnés de cette chaîne… et aussi pour vous faire une petite confidence… Il y a quelques jours de cela… des amis m’ont demandé pourquoi j’étais si content d’atteindre ce chiffre… 50 000 abonnés donc… d’autant qu’à l’échelle de YouTube… ce n’était pas si impressionnant… Ils m’ont dit… qu’il existait des chaînes à 2 ou 3 millions d’abonnés… et que 50 000 à côté… c’était encore disons… confidentiel… Et ils ont raison en un sens… on peut toujours se comparer… et se dire qu’on sera satisfait quand on en sera à un million… parce que c’est là… qu’on aura vraiment réussi… Mais pour moi… un raisonnement comme celui-là… n’a strictement aucun sens… Pour moi… il ne s’agit pas que d’un simple chiffre… Il s’agit de 50 000 personnes… qui me font l’honneur de m’écouter… 50 000 êtres humains… qui ont cliqué sur le bouton d’abonnement alors que je ne leur ai même pas demandé de le faire… juste parce qu’ils ont aimé ce que j’ai dit… Quand on prend les choses de ce point de vue là… c’est à dire en clair… non du point de vue comptable… mais de celui de l’émotion… il n’y a plus d’échelle de mesure… ni de comparaison qui tienne… Il n’y a plus que de la gratitude… parce que le pari est déjà gagné… Pour moi… ce pari… ce n’était pas d’atteindre 50 000 abonnés… et heureusement d’ailleurs…. mais de voir… si je pouvais modestement apporter quelque chose aux gens sur un réseau social… et si en retour j’allais en éprouver du plaisir… Et en réalité… je m’aperçois que j’ai fait plus que cela encore… J’ai instauré un lien entre vous… et moi… un fil invisible… et c’est ce qu’il y a de plus important à mes yeux… Et avec le temps… je vous le dis parce c’est la vérité… cela a changé ma vie… Je n’aurais jamais imaginé qu’on puisse ressentir la présence d’autant de personnes en parlant face à un micro… et ce que j’éprouve… c’est plus que de la satisfaction… c’est un vrai bonheur… Pour vous dire la vérité… je suis comblé par votre présence… Alors à vous tous… un immense merci…
Difficile de faire une transition maintenant… alors si vous voulez bien… passons sans plus attendre à Marc Aurèle… Qui était-il exactement ?… Qu’a-t-il dit dans ses célèbres pensées ?… Et d’abord qu’est-ce que le stoïcisme ?… Pour le comprendre… il faut faire un petit détour environ 500 ans avant l’empereur philosophe… dans la Grèce du IV ème siècle avant notre ère… dans les années -300… A cette époque… Athènes a déjà perdu sa puissance politique… et sa domination sur le monde grec n’est plus qu’un souvenir… Les cités ne sont plus des états autonomes… car elles ont été conquises par l’empire d’Alexandre… rassemblées sous une même autorité politique… et elles passeront ensuite sous la domination romaine à partir du II ème siècle avant notre ère… Cette période… qu’on appelle la période hellénistique et qui correspond au 4 derniers siècles avant notre ère… c’est donc celle d’un basculement… celui d’une liberté politique permise par des cités indépendantes… à une ère dominée par de grands empires… Et dans ce contexte… on ne comprend plus la liberté d’un point de vue politique… en tant que citoyen libre d’une cité libre… mais d’un point de vue intérieur… C’est en soi-même qu’il faut trouver la liberté que le monde n’offre plus… La seule liberté qui reste… c’est donc celle de se tourner vers l’infini de son âme en quelque sorte… dans son for intérieur… pour y trouver la sérénité… et tenter d’inventer la meilleure vie possible… C’est pourquoi la question de la vie bonne… c’est à dire pour le dire simplement la vie heureuse… devient essentielle… On ne croit plus aux systèmes des grands philosophes… comme Platon et Aristote… pour qui justement… la justice… pour le premier… et la liberté pour le second… ne pouvaient être réalisées que dans le cadre d’une cité état… Alors… apparaissent des écoles de philosophie… qui chacune vont proposer des réponses à ces questions fondamentales… qu’est-ce que le bonheur ?… Comment le trouver… et ensuite le conserver ?… En clair… ce sont des questions très pratiques qui sont alors posées… et qui tendent à assimiler la philosophie… non plus à une simple création de concept… mais à un véritable art de vivre… c’est à dire… à des techniques très concrètes… pour mener sa vie… Pratiquer la philosophie… devient alors une praxis… une manière de vivre… en l’occurrence selon les préceptes développés par l’école qu’on a choisie… Penser… c’est alors réaliser des exercices précis… pour conduire sa vie… La pensée… est action… ce qui la rend d’ailleurs extrêmement séduisante… Ces écoles… ce sont l’épicurisme… le cynisme… et bien sûr le stoïcisme… lequel tient son nom du lieu même où les disciples se réunissaient… dans le quartier du portique à Athènes… Il y avait là de grandes arcades… appelées stoa en grec… et c’est pourquoi ces philosophes ont rapidement été appelés… les philosophes du portique… les stoïciens… Il faut imaginer une sorte de préau… avec un toit soutenu par des colonnes… où les disciples se réunissaient autour de maître…. à savoir Zénon de Citium… Historiquement… on distingue trois grandes périodes du stoïcisme… le stoïcisme ancien… celui des origines donc au IV ème avant notre ère… autour de Zénon son fondateur… Cléanthe qui lui succède… et ensuite… Chrysippe… On parle ensuite de moyen stoïcisme… avec Panétius de Rhodes… et Posidonius d’Apamée… au cours du deuxième siècle avant notre ère… lesquels commencent à tisser des liens avec les notables romains qui dominent déjà la région… et qui déplacent l’école… d’Athènes à Rome… Enfin… on parle de stoïcisme impérial… avec Epictète, Sénèque et Marc Aurèle… parce que ce dernier stoïcisme… se développe pendant la période de l’empire… juste avant notre ère… et ensuite surtout au cours des deux premiers siècles… Il n’est pas absurde de parler d’une continuité dans l’enseignement stoïcien… à travers toutes ces époques… même si elles présentent quelques différences… Ce qui est sûr… c’est qu’on y rencontre toutes sortes de personnalités… autant d’anciens esclaves comme Epictète… que des notables… Marc Aurèle lui-même… était empereur de Rome… de la dynastie des Antonins… et il régna pendant 19 ans… de 161 à 180… Alors qu’il est encore un jeune prince… en tant que membre de la famille des Antonins… il reçoit une brillante éducation… et se convertit très rapidement à la vie philosophique… notamment sous l’influence d’Épictète… qui restera toujours un maître pour lui… même s’il ne l’a jamais connu personnellement… Quand il accède aux plus hautes fonctions… vers 39 ans… ce n’est donc pas du tout une bonne nouvelle pour lui… car même s’il s’y attendait… il sait que désormais… il va lui falloir se détourner de la vie de philosophe… pour se concentrer sur l’action politique… Dans le même temps… en bon stoïcien… il sait que son devoir… est tout entier dans le fait de remplir le mieux possible… le rôle dont le destin l’a chargé… Et comme il est désormais à la tête du plus grand empire du monde connu… son devoir est de le servir… Faire son devoir… et en ce sens… se plier aux contraintes imposées par le destin… c’est sans doute le principe le plus essentiel de sa pensée… Pendant les 20 dernières années de sa vie… il sera donc tiraillé par les devoirs de sa charges… le fait de devoir prendre certaines décisions qui lui déplaisent comme la guerre par exemple… et celui d’aspirer à la vie philosophique… et à la sérénité… Comprenons donc bien que c’est dans ce contexte… qu’il rédige les Pensées pour moi-même… et qu’il le fait dans la langue de la philosophie… le grec…
Le texte en lui-même est assez simple à lire… Pourtant… les spécialistes se sont longtemps interrogés… sur l’ordre véritable des 12 livres qui le structurent… c’est à dire en réalité les 12 petits chapitres… car on y trouve bon nombre de répétitions… On a même parfois l’impression que Marc Aurèle revient sans cesse sur les mêmes choses… c’est à dire sur ses conceptions personnelles du devoir… de la mort… de la liberté… ou encore de la nature universelle… Il apparaît néanmoins… que le texte que nous connaissons… reflète bien la forme que l’auteur a voulu… En réalité… si l’on veut comprendre les Pensées de Marc Aurèle… il faut cesser d’y chercher un système philosophique précis… où tout serait parfaitement organisé et structuré selon un ordre de progression logique… Il ne faut pas y voir non plus un journal intime… et encore moins une confession… Si Marc Aurèle se répète sans cesse… et revient toujours sur les mêmes idées… c’est parce qu’il réalise sous nos yeux… un exercice… Un exercice très concret… pour travailler sur ses propres convictions… et tenter de se persuader lui-même… Même quand il est en guerre… et qu’il commande ses légions… l’empereur s’assoit à sa table de travail… et se livre par écrit… à des méditations personnelles… afin de travailler sur son âme elle-même… Il s’agit… en cherchant la formule la plus simple et la plus directe… de faire entrer son propre enseignement dans son âme… afin que celle-ci acquiert une disposition nouvelle… De la même manière qu’on travaille un muscle… par un exercice physique par exemple… il s’agit de travailler son âme… par la répétition d’un même thème… dans le but de rendre la pensée effective… et d’obtenir une transformation de soi-même… C’est ce que l’historien Pierre Hadot… notamment dans son livre Exercices spirituels et philosophie antique… ou encore le philosophe Michel Foucaut dans ses cours au collège de France… appelaient… un exercice spirituel… Il s’agit d’un exercice par lequel… on parvient à maîtriser son esprit… pour changer ses représentations… Qu’est-ce que cela veut dire ?… Et bien simplement… que tout homme… se fait une certaine idée… non seulement de lui-même… mais aussi du monde… et donc des choses qui lui sont extérieures… Tout homme… se fait une représentation des choses… Il se les re-présente… sous la forme d’une opinion… ou d’une image mentale… et donc se soumet à une forme de croyance… Or… cette représentation est toujours subjective… parce qu’elle est toujours liée à ce qu’est l’individu… à son point de vue… son éducation… son histoire… bref… à tout ce que le constitue en tant qu’individu… Et en ce sens… la représentation qu’il se fait d’une chose… est toujours plus ou moins éloignée… de ce qu’est la chose elle-même… Kant dirait lui… la chose en soi… Marc Aurèle est parfaitement conscient de ce décalage… Dès lors… tout son travail consiste dans les Pensées… à appliquer l’un des principes fondamentaux qu’il a retenu d’Épictète… à savoir faire la distinction… entre ce qui dépend de nous… et ce qui ne dépend pas de nous… Or… qu’est-ce qui ne dépend pas de nous ?… Les aléas de la vie… la maladie… les accidents… la mort elle-même… Et inversement… qu’est-ce qui dépend de nous ?… Réponse… nos pensées… et donc justement… nos représentations… Sitôt que vous changez vos représentations… vous changez votre rapport au monde… et celui-ci vous apparaît sous un autre angle… Cela ne veut pas dire que la mort cesse d’exister… mais plutôt qu’on ne la considère plus… sous son aspect le plus personnel… sa mort à soi… mais sous l’angle plus large… et donc plus juste… de la nature… Et ainsi… on en souffre moins… Pourquoi ?… Et bien simplement parce qu’en pratiquant une telle technique… on ramène la chose sur laquelle on médite… de son point de vue personnel… à ce qu’elle est du point de vue… impersonnel de l’univers… Or… de ce point de vue là… les choses… sont toujours minuscules… et insignifiantes… Dans le contexte de l’univers… tout événement… qui nous paraît dramatique quand on le regarde subjectivement… c’est à dire par rapport à nous et à notre propre existence… apparaît dans sa dimension véritable… négligeable et sans importance… On relativise… on remet les choses à leur place… ce qui est en effet… une thérapie de l’âme assez efficace… car on passe de la démesure du point de vue personnel… à la mesure… permise par la prise en compte de la totalité… Il s’agit donc d’instaurer une harmonie intérieure… qui est la seule chose sur laquelle je peux vraiment travailler… Encore une fois… ce qui intéresse Marc Aurèle dans les Pensées… c’est d’abord et avant tout… de se livrer à cet exercice spirituel… En ce sens… il reprend les principes fondamentaux du stoïcisme… notamment ceux d’Épictète… et se livre à un exercice qui existait déjà avant lui… Pour le dire très simplement… la clé de la vie bonne… consiste essentiellement à ne pas se laisser envahir par de fausses représentations… mais de ne donner son assentiment qu’aux jugements les plus adéquates… c’est à dire en un sens… les plus impersonnels… D’une certaine manière… il s’agit de pratiquer un doute permanent… une remise en cause de tout ce qu’on croit savoir… comme le fera Descartes au XVII ème siècle… mais pas seulement pour découvrir la vérité sur le plan théorique… mais pour en ressentir les effets… directement en soi-même… c’est à dire l’autonomie et la sérénité du sage… Pour autant… ne croyons pas que Marc Aurèle se contente de reprendre les enseignements d’Épictète… sans rien y ajouter… Car en l’occurrence… il se distingue… en insistant sur un élément qui était déjà dans le stoïcisme ancien… mais qui devient essentiel chez lui… la notion de nature universelle… De quoi s’agit-il ?…
D’une manière générale… le fondement du stoïcisme… on l’a vu… consiste à discipliner son désir… pour se concentrer sur ce qui dépend de nous… Mais plutôt que se limiter à une simple doctrine du désir personnel… Marc Aurèle insiste sur les rapports que chacun… doit entretenir avec la nature universelle… Il ne s’agit pas seulement pour lui… de faire ce qu’on appellerait aujourd’hui du développement personnel… c’est à dire de valoriser son petit moi… mais au contraire… de maîtriser ses pensées… pour mieux s’inscrire dans une vision beaucoup plus large… qui est celle de l’univers… et donc d’une totalité… dont tout être vivant est une partie… Tout être vivant… s’inscrit dans un ensemble plus grand que lui… et qui forme une unité… Chacun y trouve sa place conformément à un ordre qui lui préexiste… et qui est continuellement en mouvement… C’est en ce sens… que Marc Aurèle décrit la nature universelle… et qui est à ses yeux la seule véritable divinité… Dieu et la nature… c’est la même chose… ce qui est bien sûr identique à ce que dira plus tard Spinoza… C’est pourquoi… la nature étant la condition même de toute vie… il faut lui donner son assentiment… sans chercher à en déplorer les effets… tout simplement… parce que pleurer devant la réalité de la nature… est inutile… Les effets de la nature pour l’individu… comme la mort par exemple… ne nous apparaissent comme des aspects négatifs… que dans la mesure où nous continuons à les regarder en fonction de nous… Mais une fois… que ce travail de changement de perspective est engagé… c’est la nature elle-même qui se dévoile… dans toute sa dimension impersonnelle… laquelle est affect… et donc plus équilibrée… Autrement dit… il ne s’agit pas juste de revenir à une vision qui nous réconforte personnellement… mais de se hisser au niveau de la compréhension de la nature elle-même… dont il faut tout accepter… puisque de toute façon… nous n’avons pas le choix de faire autrement… Le sage est donc celui qui adhère à l’ordre commun… et qui se réjouit de vivre selon sa nature… et selon la nature universelle… Il faut imaginer le mouvement de la vie… comme un fleuve… dans lequel le sage s’inscrit… sans chercher à contredire le courant… L’univers tout entier est pris dans un mouvement qu’il faut accepter… car celui-ci n’est pas lié au hasard… mais relève au contraire de la raison… Pour Marc Aurèle… il y a une intelligence divine à l’oeuvre… une providence… et qui poursuit ses desseins… à travers le mouvement du monde… Même si nous ne pouvons rien en savoir… nous devons nous y inscrire… en participant au mouvement… Ce n’est pas une intelligence transcendante… et donc extérieure au monde… C’est une intelligence qui est la nature elle-même… Là est la différence fondamentale entre l’épicurisme et le stoïcisme… celle qui va déterminer leurs trajectoires respectives… Quand l’épicurisme considère que tout dans l’univers est l’effet du hasard… le stoïcisme… pense au contraire que tout y est organisée par une intelligence divine… Or… dans le premier cas… s’il n’y a que du hasard dans l’univers… alors cela veut dire qu’il n’y aucun devoir à respecter… et que seul le plaisir est le but de l’existence… C’est ce que pensent les épicuriens… et cela représente d’ailleurs une véritable contre-culture pour un grec ou un romain… A l’inverse… et comme le pense Marc Aurèle… si tout est organisé selon une raison divine… alors cela signifie qu’il faut s’y soumettre… et donc régler sa raison particulière… sur la raison du dieu… Le devoir de tout homme est de lui obéir… chacun à la place qui est la sienne… et ainsi… de vivre selon la vertu… c’est à dire de se régler soi-même… sur l’harmonie universelle de la façon la plus rationnelle qui soit… Etre vertueux… cela consiste à se conformer à un principe cosmique… c’est à dire… à l’ensemble des lois de l’univers… On voit encore une fois… qu’on est loin du développement personnel… et pourtant… dans le même temps… c’est ce qui… toujours selon Marc Aurèle… conditionne le bonheur de chacun… Pourquoi ?…
Et bien parce que le bonheur n’est pas considéré… ni par les stoïciens en général… ni par Marc Aurèle en particulier… comme quelque chose de privé… que l’on invente au gré de son imagination personnelle et de son désir… Ce n’est pas ici… ce que Kant appellerait de façon très moderne… « un idéal de l’imagination »… C’est d’ailleurs toujours sur le modèle de Kant que nous le définissons nous… Mais pour les stoïciens… la vie bonne se trouve dans l’alignement avec le cosmos… Qu’est-ce que cela veut dire exactement ?… Et quelle forme cela prend-il… de manière concrète ?… Pour Marc Aurèle… il s’agit de se retirer en soi-même… dans son asile intérieur… une forteresse… une citadelle… que rien ne peut venir ébranler… Il s’agit de se retirer du monde… pour retrouver à l’intérieur de nous-mêmes… non pas ce qu’on considérerait aujourd’hui comme le coeur de sa subjectivité… et de son identité propre… mais au contraire… un infini… ou tout penchant personnel s’efface… On ne revient pas ainsi vers le moi… mais vers le soi… L’infini intérieur… c’est en ce sens la porte d’entrée vers l’infini du cosmos… laquelle nous ouvre la voie au calme… et à la sérénité… Là encore de nombreux exercices de méditation étaient possibles… même si… toujours selon Pierre Hadot… nous en avons perdu la trace faute de sources… Mais nous savons néanmoins que des exercices spirituels de concentration… étaient bel et bien pratiqués… Pour Marc Aurèle… cela passait essentiellement par l’écriture… En ce qui le concerne… on peut parler d’un stoïcisme qui vise l’éternité… face aux vicissitudes… et aux aléas des réalités extérieures… Il s’agit de prendre du recul par rapport au monde… pour mieux retrouver l’équilibre cosmique tout entier… en soi-même… au coeur de son intériorité… L’enjeu… c’est donc la paix intérieure… Il s’agit de ne plus être soumis aux agressions du monde… comme de ne plus avoir peur des réalités de la nature… dans leurs dimensions les plus négatives pour nous… Cela marchait-il concrètement ?… Pour ce que nous en savons… Marc Aurèle explique que oui… Simplement… comprenons bien que cette paix intérieure… ce n’est pas quelque chose que l’on acquiert définitivement et une fois pour toutes… Elle fait l’objet d’une pratique constante… d’exercices réguliers… et ainsi… on doit comprendre que la vie philosophique est pratique… qu’elle concerne l’action… et donc qu’elle demande des efforts sur soi… voire un engagement… comme toute pratique spirituelle au sens large… Selon Marc Aurèle… c’est ainsi qu’on fait de son âme… une citadelle imprenable… Rien ne peut venir la perturber… car elle est renforcée dans ses principes… Encore une fois… notre disposition intérieure… est la seule chose qui dépende vraiment de nous… et sur laquelle nous ayons un réel pouvoir… Il s’agit donc d’y instaurer une harmonie… qui une fois qu’elle sera réalisée… sera à l’image de l’harmonie universelle de l’univers… Le sage… en tant qu’il a réalisé cet équilibre… est en ce sens… en lui-même… un microcosme… à l’image de macrocosme de l’univers… Mais ne soyons pas dupe… trouve un équilibre… c’est aussi toujours… faire des efforts pour le garder… L’équilibre est toujours en déséquilibre… Et Marc Aurèle est un homme comme n’importe quel autre… au sens où il se prend lui-même dans ses contradictions… Il sait que ce qu’il ressent comme une vérité profonde le lundi… il cesse de le ressentir le jour suivant… Il continue de douter… d’avoir peur devant les réalités de l’existence… et il sait… puisqu’il le dit lui-même… qu’il ne parvient toujours pas à être un sage… et donc… que l’équilibre est plus dans le chemin qu’il emprunte… que dans un état à atteindre… C’est en pratiquant la méditation philosophique… par l’écriture notamment… qu’il parvient à quelque chose… et à maîtriser ses craintes… Que craint-il exactement… lui qui est empereur ?… La mort… comme tous les hommes…
Et c’est pourquoi la question de la mort devient si essentielle dans son texte… puisqu’à la fin des fins… c’est vers elle… que convergent tous les soucis de moindre importance… tous les tracas… que l’on peut rencontrer dans l’existence… Les passions qui nous dévorent… ont toujours la mort pour point de fuite… pour ligne d’horizon… puisqu’il s’agit de notre finitude… et donc de notre condition dans toute son imperfection… La pensée de Marc Aurèle… est donc autant une pratique du détachement… qu’une préparation à la mort… Or… si toute l’approche de Marc Aurèle consiste à travailler sur ses propres représentations à travers un exercice d’écriture… comme je le disais tout à l’heure… alors comment en vient-il à considérer la mort ?… Pour lui… non seulement il faut la penser comme faisant partie de la nature… puisqu’aussi bien… mourir n’est pas un scandale en soi… c’est le destin de tout être… (peut-être les circonstances particulières dans des cas bien précis peuvent être considérées comme scandaleuses… mais pas la mort elle-même)… mais surtout… dit-il… il faut la considérer comme utile… C’est le mot qu’il emploie… Pourquoi utile ?… Pour le comprendre… il faut garder à l’esprit que les écoles philosophiques qui viennent après Platon… considèrent… que toute réalité est essentiellement physique… et en ce sens l’âme elle-même… c’est quelque chose de physique… au sens matériel du mot… En clair… l’âme… tout comme le corps… est un agglomérat d’atomes… Il n’est donc pas question d’imaginer la survie de l’âme… après la mort du corps… Pour Marc Aurèle… l’âme disparaît… Simplement… les atomes qui la composent… se fondent dans le grand tout… Ils se dispersent… pour donner naissance à autre forme de vie… Et donc… la mort est utile pour lui… entendons bien celle des individus… au sens… où elle est une étape nécessaire… pour que le cosmos puisse se régénérer… et donner naissance à quelque chose de nouveau… Encore une fois… il s’agit toujours de voir les choses du point de vue de la nature… et non à partir des attentes ou des peurs de l’individu… car celles-ci ne sont rien en tant qu’elles ne font que passer… Ce qui reste… ce qui demeure… c’est l’univers lui-même… dont les individus ne sont que des parties qui se forment de manière passagère… et qui se décomposent… pour laisser la place à d’autre et ainsi de suite… L’univers demeure… mais en tant qu’il n’est pas figé… et qu’il est pris dans un mouvement qui ne prend jamais fin… L’utilité est ici à comprendre pour le tout… La mort est utile à la totalité des choses… Il est utile que les individus naissent… grandissent… vivent… et disparaissent… La question du sens d’une vie individuelle est donc à comprendre en fonction de quelque chose qui ne dépend pas de soi… C’est donc à chacun de s’accorder sur le sens général du monde… sans quoi on sera toujours malheureux… Pour Marc Aurèle… chacun doit considérer sa vie… non pas en fonction du temps qu’elle va durer… mais en fonction ce qu’il en fait… En l’occurrence… la seule manière de vivre… est de se concentrer sur le présent… car d’une part le passé n’est plus… donc à quoi bon s’y attarder ?… et l’avenir est incertain… puisqu’il n’est pas encore… La seule chose qui soit là… c’est l’instant présent… On retrouve donc une vision très classique de la vie bonne… comme pour tous les auteurs antiques… mais qui sera ensuite reprise… par d’autres… comme Montaigne… quand il dira qu’il faut vivre à propos… Vivre à propos… c’est encore une fois vivre tout de suite… ici… et maintenant… et vivre chaque journée… comme si c’était la dernière… pour lui reconnaître sa saveur… car chaque journée est magique en réalité… sauf qu’on ne le voit pas… Et en ce sens… on comprend la simplicité d’une telle position… puisqu’il s’agit d’ouvrir les yeux sur ce qui est là… et de se réjouir… c’est aussi simple que ça… mais dans le même temps… l’insondable difficulté que cela représente dès qu’on cherche à le faire… puisque le temps ne s’arrête jamais… que l’univers est en mouvement… comme je le disais… et qu’à partir de là… saisir l’instant qui ne cesse de nous échapper… exige en réalité un effort… et même un entrainement très particulier… Ou si vous préférez… apprécier ce qu’on a sous les yeux… cela s’apprend… et même… cela peut être l’objet d’une vie… savoir s’en tenir à l’instant présent… quand précisément l’essence même de chaque minute… est de s’écouler… et de laisser place à la suivante… Dans le même temps… tenter de le faire… se livrer à ce petit exercice d’attention au présent… c’est du même coup… oublier la mort… et faire entrer l’instant qui passe… dans une forme d’éternité… Là encore… l’enjeu… c’est toujours la paix intérieure… puisque quand on se concentre sur le moment présent… on ne pense plus à soi… ni à ce qui peut nous atteindre…
On voit qu’au fond… il s’agit toujours d’appliquer le principe stoïcien qui consiste à changer ses propres désirs et ses propres représentations… c’est à dire se changer soi-même… et même se perfectionner… plutôt que de chercher à changer l’ordre du monde… ce qui est étonnant de la part d’un homme politique… et en l’occurrence d’un empereur… Car que reste-t-il de l’action… dès lors qu’on renonce à changer le monde ?… Et simplement… celle-ci est-elle encore possible… à partir du moment où l’on préfère se retirer en soi-même… pour ne plus être atteint par ce qui nous est extérieur ?… En réalité… pour tout stoïcien… pas seulement pour Marc Aurèle… la paix intérieure n’est pas incompatible avec l’action… Au contraire même… elle est le préalable indispensable à toute action adéquate… et même à toute action juste… Avoir la représentation la plus ajustée des choses… et de soi-même… c’est en ce sens… ce qui permet d’agir comme il convient… Mais alors justement… allons plus loin dans ce cas… qu’est-ce qu’agir comme il convient ?… ou encore formulons-le de cette manière… comment convient-il d’agir ?… Réponse de Marc Aurèle… agir pour faire le bien… Voilà qui est fondamentalement moral… vertueux comme je le disais tout à l’heure… car si aucun mal ne peut venir de la nature elle-même… il en découle qu’aucun mal ne peut venir non plus… de celui qui vit en harmonie avec la nature universelle… Et il est difficile d’imaginer un homme qui… tout en étant en paix avec lui-même… chercherait dans le même temps… à nuire aux autres… Il faut donc comprendre les choses très simplement ici… vivre en harmonie avec l’univers… c’est par là même… être en paix avec soi-même… et par voie de conséquence… s’appliquer à faire le bien autour de soi… Il n’y se saurait y avoir d’harmonie dans le monde… sans le bien moral… Se fonder soi-même… sur l’ordre de la nature… quand on est un homme… un être humain… c’est donc… explique Marc Aurèle… faire bon usage de la raison… C’est prendre soin de soi-même et de l’autre… La vertu… c’est donc la bonne disposition de l’âme… qui nous fait faire le bien… et qui donc nous rend heureux… La pratique de la vertu… c’est la clé du bonheur… pour les stoïciens… Et ainsi… le stoïcisme… est bel et bien une philosophie de l’action… de l’action vertueuse… puisqu’il s’agit… sans vouloir le changer… d’intervenir dans le monde… au moyen de la raison… et dans les limites de ce qu’il humainement possible… et dans le but de faire le bien… Par extension… au-delà de l’action individuelle… le sage a le devoir de s’engager politiquement… et donc de faire le bien au-delà de son entourage… là encore à la différence de l’épicurisme qui ne s’occupe jamais de politique… Il a pour devoir… de répandre au-delà de lui-même… la paix qu’il porte en lui… ce qu’il cherche à faire bien sûr… en tant qu’empereur… Le philosophe… cherche la paix pour lui-même… mais c’est une paix intérieure qui a vocation à s’étendre à la totalité du monde… Et donc le philosophe est fondamentalement philanthrope… Il aime l’humanité et cherche à faire son bien… en faisant coïncider les relations entre les hommes… entendons tous les hommes… pas seulement les Romains… avec l’ordre de l’univers… Ou si vous préférez… il s’agit de faire du monde une cité universelle… qui soit à l’image de l’univers… C’est ce qu’on appelle le cosmopolitisme stoïcien…
Consentir à ce qui nous arrive… se comporter avec justice envers les autres hommes… travailler sur ses représentations intérieures… telles sont les clés du stoïcisme de manière générale… L’enjeu plus particulier des Pensées de Marc Aurèle… consiste… quant à lui… à trouver la paix intérieure par un exercice approfondi sur soi-même… Mais comprenons bien qu’en se livrant à cet exercice… il nous invite également à le faire nous-mêmes… Il nous invite à devenir philosophe… c’est à dire à agir concrètement sur nous-mêmes… car la philosophie n’est pas qu’une simple création de concept… éloignée du réel… mais un art… Comme il le dit dans le texte que je vais vous lire maintenant… avant de vous quitter… elle est une technique dont le but… est de nous permettre de mieux vivre… et de préserver ce qu’il appelle « notre dieu intérieur »… c’est à dire cette parcelle de divinité que nous possédons en nous… et qui est comme un échantillon de la nature tout entière… ce qu’on pourrait également appeler notre âme… Il faut la préserver de tout esclavage… et veiller à ce qu’elle ne soit pas contaminée par de mauvaises pensées… qui pourraient la détruire… Dans ce texte… il commence par écarter tous les faux biens les uns après les autres… et les renvoie à leur insignifiance… pour dire finalement que la philosophie… est la seule chose qui puisse préserver notre âme… et donc la seule manière de vivre en paix… la seule chose qui puisse nous aider à accepter tout le reste… c’est à dire le monde comme il va… et surtout notre propre finitude… Nous sommes au livre II… paragraphe 17… « … »…
Merci à tous et à très bientôt sur Kosmos !