Depuis quelques minutes… les badauds et les curieux… forment un cercle sur la place Carlo Alberto… Ă Turin… Il faut dire qu’ils n’ont pas droit Ă un tel spectacle tous les jours… celui de la folie et du dĂ©sespoir d’un homme… en pleine rue… prostré… et en larmes… On ne sait pas exactement ce qu’il s’est passé… Alors… dans la confusion gĂ©nĂ©rale… au milieu de la foule… on discute… on essaie de comprendre… Selon certains tĂ©moins… tout a commencĂ© avec un cocher… qui Ă©tait en train de battre un cheval… de façon assez violente… C’est alors que cet homme… s’est interposĂ© pour dĂ©fendre l’animal… qu’il a collĂ© dit-on… sa joue contre celle de la bĂŞte… et lui a glissĂ© quelques mots Ă l’oreille… avant de s’effondrer au sol… D’apparence… c’est un homme encore jeune… et on apprendra plus tard… qu’il n’a que 44 ans… Tout dans sa personne… souligne un ĂŞtre extrĂŞmement raffinĂ© et Ă©lĂ©gant… Il porte un costume simple et sans ostentation… mais extrĂŞmement soigné… Ses cheveux sont bien peignĂ©s en arrière… pour dĂ©gager un vaste front… et des traits fins… sur lesquels a poussĂ© une Ă©paisse et broussailleuse moustache… Ses mains sont celles d’un intellectuel… et mĂŞme d’un pianiste… Il est Ă moitiĂ© aveugle… mais il semble vivre comme Ă l’intĂ©rieur de lui-mĂŞme… toujours tournĂ© vers des rĂ©alitĂ©s plus hautes… comme un aigle… qui verrait les choses du haut des cimes… Mais cette fois… l’aigle est tombé… et il ne faut pas longtemps… Ă ceux qui sont autour de lui… pour le reconnaĂ®tre… voire pour se moquer de lui… C’est le professeur Nietzsche… On le connaĂ®t parce que de passage depuis quelques semaines Ă Turin… il s’est dĂ©jĂ fait remarquĂ© en chantant sous les fenĂŞtres… ce qui sera un signe de joie pour certains… ou la preuve de sa folie pour d’autres… Nous sommes le 3 janvier 1889… et c’est la date que l’on retient… en gĂ©nĂ©ral… pour marquer la fin de la vie consciente de Nietzsche… et le dĂ©but de son effondrement dans la dĂ©mence… A partir de là … il n’écrira plus une ligne… et ne pensera plus… comme si son esprit jusque-lĂ si libre… Ă©tait dĂ©jĂ parti… Mais alors… pourquoi Nietzsche est-il devenu fou ?… Et d’ailleurs… de quel genre de folie s’agit-il ?… Peut-on dire que cette dĂ©mence… bien rĂ©elle… Ă©tait le prix Ă payer… pour avoir soutenu que Dieu est mort ?… Est-elle la rançon du philosophe… pour avoir osĂ© sonder les profondeurs de l’âme humaine… en psychologue… et avoir fait la gĂ©nĂ©alogie de toutes ses croyances… et de toutes ses valeurs ?… Mais peut-ĂŞtre que rĂ©pondre Ă ces questions par l’affirmative… n’est qu’une solution de facilité… propre Ă faire de Nietzsche une sorte de hĂ©ros romantique emportĂ©e par la profondeur de sa propre pensĂ©e… C’est joli… mais est-ce exact ?… Nietzsche disait lui-mĂŞme que toute pensĂ©e… toute philosophie… n’était que le symptĂ´me d’un Ă©tat de santĂ© du corps… Elle n’est que la traduction… d’une certaine souffrance… Alors pour comprendre Nietzsche… il nous faut nous-mĂŞmes ĂŞtre nietzschĂ©ens… et appliquer Ă Nietzsche son propre principe… C’est pourquoi… comme souvent… pour comprendre la pensĂ©e du philosophe… il nous faut d’abord nous demander qui il Ă©tait… et quelle fĂ»t sa vie…
Friedrich Wilhelm Nietzsche… est nĂ© le 15 octobre 1844… Ă Rocken… petite ville de Prusse… Il est le fils aĂ®nĂ© d’un pasteur… Karl-Ludwig Nietzsche… et d’une fille de pasteur… Franziska Oehler… qui auront deux autres enfants… Elisabeth d’abord… en 1846… et enfin un petit frère… Joseph… en 1848… Comprenons bien que devenir pasteur… est une perspective assez courante… pour les fils de la petite bourgeoisie allemande… au XIXème siècle… car les Ă©tudes de thĂ©ologie sont peu chères… et que de nombreuses bourses sont accordĂ©es assez facilement… C’est pourquoi d’ailleurs… la mère de Nietzsche envisagera pour lui… ce qui lui semble la voie la plus naturelle… c’est Ă dire… qu’il devienne lui-mĂŞme pasteur… D’après ce qu’en dire Nietzsche lui-mĂŞme… la vie campagnarde du village de Rocken est agrĂ©able… La ville est entourĂ©e de collines… de forĂŞts et d’étangs… et semble habitĂ©e par le souvenir d’anciennes batailles… qui se sont dĂ©roulĂ©es non loin de là … ce qui est propre Ă enflammer l’imagination du petit garçon… Mais pour le plus grand malheur de la famille… le père de Nietzsche… dĂ©crit comme un homme doux et affable… meurt très tĂ´t Ă l’âge de 36 ans… alors que Nietzsche est seulement âgĂ© de 5 ans… Franziska soutiendra que son mari est mort des suites d’une chute dans un escalier… mais en rĂ©alité… selon les biographes… le père de Nietzsche aurait Ă©tĂ© victime de troubles mentaux… Toute sa vie… il se souviendra du traumatisme de la perte d’un père qu’il adorait… et ne cessera de penser et de dire… qu’il mourra jeune comme lui… Et c’est un fait… que Nietzsche aura une santĂ© extrĂŞmement fragile… comme nous le verrons… Ce tableau est encore assombri par la perte de son jeune frère… Ă l’âge de deux ans… et au sujet duquel… Nietzsche explique qu’il avait fait un rĂŞve prĂ©monitoire la veille de sa mort… Tant et si bien… qu’il se retrouve Ă 6 ans… entourĂ© de femmes… sa mère, sa sĹ“ur, sa grand-mère et ses deux tantes… La mort du père… oblige la famille Ă quitter le presbytère oĂą ils Ă©taient installĂ©s… pour laisser la place Ă un nouveau pasteur… et Ă partir vivre Ă Naumburg… laquelle est une plus grande ville que Rocken… A partir de 1858… donc Ă 14 ans… Nietzsche sera interne au très sĂ©vère collège royal de Pforta… connu pour sa discipline… ce qui n’est d’ailleurs pas forcĂ©ment pour lui dĂ©plaire… Il s’y distingue par ses rĂ©sultats scolaires… et son goĂ»t pour la littĂ©rature… Il dĂ©couvre notamment Goethe… Schiller… Holderlin… Byron… mais surtout les Grecs… Eschyle… et HĂ©siode… et fonde une petite sociĂ©tĂ© littĂ©raire… avec ses amis… tout en exprimant un fort penchant pour la mĂ©lancolie et le lyrisme… dont ses premiers Ă©crits seront fortement marquĂ©s… Mais dans le mĂŞme temps… il montre Ă©galement des aptitudes sportives… et un goĂ»t très prononcĂ© pour l’effort physique… comme la natation ou la randonnĂ©e… Il est donc un Ă©lève complet… supĂ©rieurement intelligent… et au caractère très affirmé… Plus tard… ses anciens camarades le dĂ©crieront comme un jeune homme sĂ©rieux… rĂ©flĂ©chi… mot qui revient souvent chez Nietzsche… et surtout qui consacre toutes ses forces Ă se maĂ®triser lui-mĂŞme… De fait… Nietzsche sera un philosophe de la maĂ®trise de soi… voire de la conquĂŞte de soi… du triomphe sur ses propres affects… et de la hiĂ©rarchisation de ses instincts… C’est pourquoi… il prise la solitude… se fait peu d’amis… et ne se mĂŞle pas aux jeux des autres Ă©lèves du collège… qu’il juge puĂ©rils… De la mĂŞme manière… il commence Ă mettre de la distance dans ses relations avec sa mère et sa sĹ“ur… pour lesquelles il Ă©prouve de l’affection… du moins pour le moment… mais qu’il ne tient pas Ă mĂŞler Ă ses premières rĂ©flexions intellectuelles… car il sent bien qu’elles ne pourront pas le comprendre… Il cherche dĂ©jĂ Ă se commander Ă lui-mĂŞme… afin de faire plier son corps Ă sa volonté… Malheureusement… Nietzsche est souvent malade… et souffre de plus en plus… de maux de tĂŞte très violents… probablement dus Ă une myopie mal corrigĂ©e… Tout au long de ses annĂ©es de collège… le jeune Nietzsche est en proie au doute… il se cherche… Il est partagĂ© entre son goĂ»t pour la discipline… et celui qu’il cultive pour la libertĂ© et la crĂ©ation poĂ©tique… Avec le temps… et les annĂ©es qui passent… cette mĂŞme interrogation prend chez lui… la forme plus savante… d’un dĂ©bat… entre le romantisme allemand… et la tragĂ©die grecque… Ou si vous prĂ©fĂ©rez… Nietzsche commence dĂ©jĂ Ă considĂ©rer que les poètes allemands sont dĂ©cadents… et Ă travers eux… c’est toute la culture allemande… et plus largement la modernité… qu’il commence Ă soupçonner de lourdeur… et d’une certaine forme de balourdise… A l’inverse… il voit dans la culture grecque… et notamment dans la tragĂ©die… des formes d’expression artistiques… beaucoup plus proches de ses goĂ»ts esthĂ©tiques… parce que plus aptes Ă traduire Ă certain esprit de la vie… Il pense que la culture allemande… et plus largement europĂ©enne… se teinte beaucoup de morale et de prĂ©jugĂ©s… Et de fait… il se considère comme prisonnier d’une culture allemande… dont il est l’hĂ©ritier… qu’il lui faut porter… mais dont il se sent de plus en plus Ă©loigné…
Mais il n’y a pas que la poĂ©sie qui… dès sa jeunesse… pose problème Ă Nietzsche… dans la culture allemande… C’est surtout sa musique… qu’il juge sĂ©vèrement… En rĂ©alitĂ©… Nietzsche… se sent d’abord et avant tout musicien… et notamment pianiste… Il commence très tĂ´t… vers dix ans Ă jouer des sonates de Beethoven… et mĂŞme Ă composer ses propres pièces… Il fait le dĂ©lice de ses amis… quand dans la salle de musique de son collège… il se lance dans des improvisations… qui marqueront pour longtemps ses condisciples… Simplement… s’il est doué… il ne l’est pas suffisamment pour envisager une vĂ©ritable carrière dans la musique… ce qui sera toujours pour lui… une souffrance… Pourquoi ?… Et bien parce qu’il considère… Ă juste titre… que la musique est un langage… propre Ă nous faire ressentir plus profondĂ©ment et plus directement que tout autre… la rĂ©alitĂ© de la vie… Or… lĂ encore… il ne peut constater la supĂ©rioritĂ© de la tragĂ©die grecque par rapport Ă la musique allemande… dont il se mĂ©fie… Il y voit l’expression mĂŞme d’une vĂ©rité… celle du tragique de l’existence… quand la musique allemande se contente de cĂ©lĂ©brer la gloire militaire… un soit-disant sens de l’histoire… et la victoire de l’État dans une culture officielle… Bref… en quelque sorte… il voit la musique allemande… comme une adaptation de la philosophie de Hegel… pour piano et violons… pour ainsi dire… Il vomit littĂ©ralement une musique… qui… parce que grandiose… ne se ferait que l’écho de valeurs absolues… comme Dieu… le Vrai… et le Bien… et qui en ce sens… n’est pour lui qu’un mensonge… Toutes ces thĂ©matiques… c’est Ă dire la culture… la tragĂ©die… et la musique… et leur rapport historique avec l’Allemagne de son temps… sont dĂ©jĂ en germe dans la tĂŞte du jeune Nietzsche… Ă 20 ans… et cela jusqu’aux annĂ©es de ses premiers textes de philosophe… Elles sont ce par quoi… il va arriver Ă la philosophie… Ou si vous prĂ©fĂ©rez… il devient très net… dans son esprit… que la culture allemande et europĂ©enne… doivent se rĂ©approprier quelque chose de la culture grecque… et qui tient en un certain rapport au monde… et une certaine vision de l’existence… mĂŞme s’il ne sait pas encore prĂ©cisĂ©ment… comment le nommer… Ce qu’il a dĂ©jĂ dans son viseur… ce sont certaines valeurs… qui au fil d’un temps très long… c’est Ă dire des siècles… ont Ă©tĂ© incorporĂ©es par les hommes… c’est Ă dire qu’avec le temps… ces valeurs… se sont donc transformĂ©es en rĂ©flexes inconscients… pour les individus et pour les peuples… Il s’agira donc… dans la première philosophie nietzschĂ©enne… d’un projet de rĂ©forme de la culture… Ă commencer par l’éducation… les arts… ou l’éducation du public… L’Allemagne… et la culture allemande… est en ce sens… le problème fondamental qui intĂ©resse le jeune Nietzsche… et dans une certaine mesure… restera son problème… d’un point de vue très personnel… jusqu’à la fin de vie… Pourquoi ?…
Pour le comprendre… il faut d’abord garder Ă l’esprit… qu’à ce moment prĂ©cis… celui oĂą Nietzsche a 20 ans et qu’il s’apprĂŞte Ă entrer Ă l’université… c’est Ă dire les annĂ©es 1860… l’Allemagne est encore un pays divisĂ© en diffĂ©rents Ă©tats… et la question de savoir ce qu’est l’Allemagne est alors centrale… On se demande depuis longtemps… si l’unitĂ© allemande se produira militairement… autour de la Prusse… ou alors de manière plus linguistique… sous l’égide de l’Autriche… Autrement dit… un doute plane sur ce que doit ĂŞtre… et ce que sera l’Allemagne… c’est Ă dire sur quelles bases… sur quels fondements… reposera l’unitĂ© de la nation allemande… Or… il se trouve que la question sera rĂ©glĂ©e Ă partir de 1866… quand la Prusse imposera une terrible dĂ©faite Ă l’Autriche… Ă la bataille de Sadowa… faisant ainsi prĂ©valoir une certaine idĂ©e de la future Allemagne… une idĂ©e prussienne… c’est Ă dire nationaliste et militariste… C’est ainsi que le roi de Prusse FrĂ©dĂ©ric-Guillaume IV… dont Nietzsche porte le nom… Friedrich Wilhelm… parce que ses parents Ă©taient royalistes… va provoquer la France et la battre en 1871… Par cette victoire… le roi de Prusse impose l’Allemagne comme le pivot de l’Europe… et fonde l’unitĂ© du reich allemand… Le roi de Prusse… FrĂ©dĂ©ric-Guillaume IV devient dès lors l’empereur Guillaume Ier… sous l’égide du chancelier Bismarck… qui est le vĂ©ritable artisan de la nation et de la puissance allemande… Dans ce contexte de fondation de l’unitĂ© allemande par la guerre… la question de la culture… bien que fondamentale… devient un simple outil… Or… Nietzsche rejette fortement toute conception nationaliste de l’Allemagne… et qui ne ferait de la culture qu’un instrument au service de l’État… le plus froid des monstres froids… Il y voit un signal mortifère… au coeur de l’Europe… et au coeur de la civilisation… c’est Ă dire la mort mĂŞme de la culture… puisqu’en allemand… culture et civilisation ne sont qu’une seule et mĂŞme chose… Tout simplement parce qu’on ne peut faire triompher la culture… par une victoire militaire… au contraire mĂŞme… Plus largement… Ă ses yeux… c’est la mort de l’homme qui se profile… sur cet horizon… car il pense que c’est la culture… qui n’est rien d’autre que la capacitĂ© de l’homme Ă s’élever lui-mĂŞme… qui doit se servir de l’État pour s’épanouir… et non l’inverse… Exactement comme chez les Grecs… On comprend pourquoi… dans ce contexte politique… le problème strictement allemand va devenir un problème europĂ©en dans les annĂ©es qui suivront… et surtout… en quoi Nietzsche gardera un regard extrĂŞmement critique sur son propre pays… qui lui semble aller Ă rebours de ce qu’il doit ĂŞtre… et mĂŞme de ce que doit ĂŞtre l’Europe…
Pour l’heure… il est temps pour Nietzsche… de s’inscrire Ă l’université… Ă Bonn d’abord… en 1864… et Ă Leipzig ensuite… en 65… Il commence par Ă©tudier la thĂ©ologie… avant de bifurquer vers la philologie… au grand dam de sa mère et de sa sĹ“ur… qui interprètent toutes deux ce choix comme une trahison… alors qu’il correspond pourtant… Ă une trajectoire parfaitement logique compte tenu des idĂ©es du jeune homme… Pourquoi ?… Et d’abord qu’est-ce que la philologie ?… La philologie… c’est l’étude des langues anciennes… Ă partir du commentaire critique des textes… Ou si vous prĂ©fĂ©rez… il s’agit d’étudier les civilisations anciennes… leur rapport au monde au sens large… par leur langue… et donc par les mots qu’elles utilisent… et qui dĂ©voilent leurs manière d’être… et leur façon de penser… Pour Nietzsche bien sĂ»r… c’est la Grèce… qui constitue son vĂ©ritable intĂ©rĂŞt… et plus particulièrement la Grèce de la pĂ©riode tragique… c’est Ă dire celle des VI ème et Vème siècle avant notre ère… ce qui est d’une importance capitale… Cette Grèce-là … n’est pas celle Ă laquelle on pense habituellement quand il est question des Grecs… car c’est la Grèce d’avant Socrate… et donc d’avant la philosophie… et la rationalisation de l’État… C’est une Grèce qui ne se reprĂ©sente pas le monde d’une façon uniquement rationnelle… qui intĂ©resse Nietzsche… mais une Grèce qui fait droit aux idĂ©es de tragique… et d’éternel retour des choses… une Grèce plus dionysiaque… dont nous avons perdu l’habitude… et qu’il nous faut retrouver… La philologie reprĂ©sente en ce sens… un outil critique… pour mieux penser la culture europĂ©enne contemporaine… et donc la rĂ©former… c’est Ă dire… aider Ă changer les comportements… C’est en cela que la dĂ©cision de Nietzsche de passer Ă cette discipline… semble rĂ©trospectivement aller de soi…
Etudiant Ă Bonn… Nietzsche fait la connaissance d’un professeur de philologie qui le marque fortement… Friedrich Ritschl… qu’il suivra peu de temps après Ă Leipzig… pour continuer Ă suivre son enseignement… Mais cette dĂ©cision souligne aussi chez Nietzsche… une forte propension Ă quitter les lieux oĂą il se trouve… et Ă errer… comme s’il ne pouvait jamais tenir en place… Il est dans le mouvement… non seulement du point du vue des idĂ©es… mais aussi sur le plan gĂ©ographique… De la mĂŞme manière… il se lasse assez rapidement de ses amis… et les quitte sitĂ´t qu’il commence Ă les connaĂ®tre… soit pour s’en faire de nouveaux… soit pour retourner Ă sa solitude… Le professeur Ritschl va avoir une influence considĂ©rable sur l’étudiant Friedrich Nietzsche… lequel ne supporte pas de ne pas entendre son maĂ®tre trop longtemps… Pourtant… c’est un autre Ă©ducateur qui marquera le plus fortement le jeune Nietzsche… En effet… en 1865… il dĂ©couvre dans une librairie de Leipzig… un livre qui va le bouleverser… et changer radicalement sa vie… le Monde comme volontĂ© et comme reprĂ©sentation d’Arthur Schopenhauer… C’est une rĂ©vĂ©lation… celle qu’il n’est pas seul… et qu’il existe un auteur… capable de mettre des mots sur ce que lui… Nietzsche pense et ressent… au plus profond… En hĂ©ritier de Kant… Schopenhauer comprend le monde comme une sĂ©paration entre le monde des phĂ©nomènes… tel que nous pouvons le connaĂ®tre grâce Ă notre entendement… et le monde en soi… inconnaissable pour l’entendement… Simplement… Schopenhauer… entend aller plus loin que Kant… en affirmant qu’il est possible de faire l’expĂ©rience du monde en soi… par le corps… Le corps… est un pont entre le monde des phĂ©nomènes… et le monde en soi… parce que nous en avons une reprĂ©sentation dans le temps et l’espace… et dans le mĂŞme temps… il nous donne accès Ă une rĂ©alitĂ© non reprĂ©sentable… et pourtant connaissable… la volonté… La volonté… c’est le monde en soi… pour Schopenhauer… Nietzsche est subjugué… et les premières bases de sa future pensĂ©e de philosophe… viendront se poser sur cette leçon de Schopenhauer… Un infini intĂ©rieur est Ă notre portĂ©e… sitĂ´t que nous nous tournons vers lui… ce qui a deux consĂ©quences principales… D’abord elle donne naissance Ă un profond pessimisme… puisque la volonté… en tant qu’infini… ne s’accompagne jamais d’une justification prĂ©cise… comme une objet bien dĂ©fini par exemple… et donc elle nous dĂ©vore en permanence… elle est sans fin… et donc souffrance… Ensuite… elle nous donne en tant que souffrance… l’occasion d’expĂ©rimenter deux manières de mettre un terme au dĂ©sir… du moins momentanĂ©ment… que sont l’art… c’est Ă dire la contemplation esthĂ©tique… car face Ă une Ĺ“uvre… on ne dĂ©sire plus… on est dĂ©sintĂ©ressé… et la saintetĂ© par la compassion… parce que si le monde est souffrance… alors la rĂ©signation permet de dĂ©passer la volontĂ© et de la transformer en libĂ©ration… d’oĂą l’intĂ©rĂŞt de Schopenhauer pour le bouddhisme… Plus tard… ce qui constituera la profonde divergence de Nietzsche… devenu philosophe… avec son maĂ®tre… c’est la passage du simple constat que le monde est souffrance… Ă une vĂ©ritable pensĂ©e tragique… selon laquelle il faut l’aimer quand mĂŞme… L’Amor fati… l’innocence du devenir… le rejet du christianisme et de la morale… ou encore l’affirmation de la vie… et sa transfiguration… par la musique… sont des thèmes qui apparaĂ®tront chez Nietzsche… ou qui s’affirmeront davantage… grâce Ă la lecture de Schopenhauer… Pour l’heure… ce qu’il retient d’essentiel… c’est que les deux points de vue sur le monde… la reprĂ©sentation et la volonté… sont Ă©galement deux principes fondamentaux de l’esthĂ©tique grecque… apollinien et la dionysiaque… c’est Ă dire une pure beautĂ© formelle alliĂ©e Ă un principe dynamique qui la met en mouvement… quitte Ă la brĂ»ler… Et en effet… telle est la tragĂ©die du Vième siècle avec laquelle Nietzsche veut renouer… En ce sens… la Grèce de d’Euripide d’abord… qui met un terme Ă la grande tragĂ©die de Sophocle et d’Echyle… en la tournant vers de simples dĂ©bats politiques… et ensuite la Grèce de Socrate… celle de la raison et de la dialectique… a perdu son principe dionysiaque… La Grèce… la culture grecque… aux yeux de Nietzsche… s’est alors repliĂ©e sur la seule reprĂ©sentation rationnelle du monde… et c’est pourquoi Socrate… et la pĂ©riode qui s’ouvre après lui… sont une dĂ©cadence pour Nietzsche… Ou si vous prĂ©fĂ©rez… Socrate a fait perdre Ă la civilisation des Grecs… sont principe de vie… et l’a tournĂ© vers un savoir… qui dessèche et qui Ă©touffe la vie… Or… le problème… c’est que nous sommes les hĂ©ritiers de cette Grèce là … et que nous avons oubliĂ© la première… Chercher la vĂ©rité… la vĂ©ritĂ© mĂ©taphysique… c’est de dĂ©tourner de la vie et la condamner comme imparfaite… alors que les Grecs de la gĂ©nĂ©ration prĂ©cĂ©dente… au contraire… la cĂ©lĂ©braient sous toutes ses formes… La perte de Dionysos… est la pire chute qu’ait connue l’humanité… en dĂ©tachant l’homme de la nature… et en lui faisant miroiter une soit-disant vĂ©rité… dans un soit-disant monde suprasensible et transcendant… Bref… les hommes sont devenus nihilistes… Croire en une vĂ©rité… au mĂ©pris de la vie elle-mĂŞme… et en se dĂ©tournant du monde… c’est cela ĂŞtre un nihiliste pour Nietzsche… Le nihilisme… c’est la victoire de la science sur l’art… et donc sur la vie… Pourquoi ?… Et bien parce que la science… c’est Ă dire le savoir… c’est le contraire de la vie… en tant qu’elle met tout ce qui est vivant… Ă distance… pour le regarder… l’examiner… le juger… La science est dans le fractionnement des Ă©lĂ©ments constitutifs de la vie… quand la vie elle-mĂŞme… est dans la synthèse et l’unitĂ© d’un mouvement… qu’on ne peut rĂ©duire… ni dĂ©finir de façon dĂ©finitive sans l’asphyxier… et la perdre… MĂŞme chose… croire en une Allemagne Ă©ternelle… c’est la vitrifier… et la rĂ©duire Ă une soit-disant vĂ©ritĂ© unique… Pour Nietzsche… nationalistes allemands et nihilistes… partagent donc le mĂŞme combat… la mĂŞme illusion… ils sont malades des mĂŞmes valeurs et des mĂŞmes idĂ©aux… Et leur maladie… se nomme d’abord Socrate… et ensuite christianisme…
LibĂ©rĂ© des obligations militaires et après un sĂ©jour Ă l’hĂ´pital suite Ă une chute de cheval… le 8 novembre 1868 pour ĂŞtre prĂ©cis… Nietzsche va faire l’une des rencontres les plus importantes de sa vie… celle du compositeur Richard Wagner… Wagner… bien sĂ»r il en connaissait les Ĺ“uvres jusqu’ici… et nourrissait Ă son Ă©gard… une admiration teintĂ©e de mĂ©fiance… pour les raisons que j’ai expliquĂ©es tout Ă l’heure… Mais sa rencontre… lors d’un dĂ®ner… donnĂ© par des amis du professeur Ritschl… et oĂą Nietzsche est invité… va lui rĂ©vĂ©ler une certaine proximitĂ© de vue avec le compositeur… en ce qui concerne la nĂ©cessitĂ© de rĂ©former la culture… et lui donner un vĂ©ritable ami… Wagner… est alors l’un des plus grands musiciens de son temps… et veut crĂ©er un théâtre Ă Bayreuth… qui contribuera Ă la promotion de la culture et Ă l’ennoblissement des mĹ“urs… ce qui ne peut que sĂ©duire Nietzsche… Pour autant… et mĂŞme si Wagner est protĂ©gĂ© par le roi Louis II de Bavière… sa vie s’entoure en rĂ©alitĂ© d’un parfum de scandale… car il ne se cache pas d’avoir pour maĂ®tresse la femme de son chef d’orchestre… Cosima von Bulow… ce qui dans l’Allemagne très puritaine de cette Ă©poque… ne manque pas de choquer… Il en fera donc rapidement sa deuxième Ă©pouse… mais sera souvent contraint Ă l’exil… ce qui sera longtemps un frein pour sa carrière… Et de fait… il souffre d’un manque de reconnaissance… vis Ă vis du grand public… qui le pousse Ă la dĂ©pression… Du point de vue politique… Wagner s’affirme en nationaliste convaincu… et en antisĂ©mite quasi maladif… ce sur quoi Nietzsche fait d’abord mine d’être du mĂŞme avis… mais qu’il rejettera ensuite très fortement… Nous aurons l’occasion d’y revenir… En rĂ©alitĂ©… le lien entre les deux hommes se fait principalement autour de Schopenhauer… dont Wagner est un fervent lecteur… un lecteur passionnĂ© mĂŞme… parce qu’il entend fonder sa musique sur le profond pessimisme qu’il retient du philosophe… Pour Wagner… la musique doit se faire le miroir de la grandeur de l’homme… celle de l’acceptation de la mort… d’oĂą ses rĂ©sonances pour le moins grandioses… C’est ce que le germaniste et philosophe Dorian Astor… appelle… dans son excellente biographie intitulĂ©e Nietzsche… « la promotion inouĂŻe de la musique en mĂ©taphysique »… c’est Ă dire l’idĂ©e que la musique ne fait pas que reprĂ©senter des idĂ©es… mais elle est l’image mĂŞme de la volonté… dĂ©crite par Schopenhauer… La puissance de la musique… entre en nous… et nous fait vibrer… La communautĂ© de vue entre Nietzsche et Wagner… est ici certaine… non seulement sur la place Ă donner Ă la culture… mais aussi sur le rĂ´le de la musique… BientĂ´t… c’est Ă dire… en 1872… quand Nietzsche publiera son premier livre de philosophe… La naissance de la tragĂ©die… il fera la synthèse entre la culture grecque de la tragĂ©die… et la musique de Wagner… la dĂ©crivant comme l’harmonie enfin retrouvĂ©e entre l’art grec… Schopenhauer… et la culture allemande… D’une certaine manière… la rencontre avec Wagner… ouvre Ă Nietzsche les portes d’un monde oĂą il est dĂ©sormais question d’agir concrètement… ce qui lui paraĂ®t beaucoup exaltant qu’une carrière universitaire… Pourtant… c’est aussi le moment… en 1869… oĂą on lui propose un poste de professeur de philologie… en Suisse… Ă l’universitĂ© de Bâle… Comprenons bien que cette opportunitĂ© est exceptionnelle… car Nietzsche… n’a que 24 ans… et surtout il n’est mĂŞme pas titulaire d’un doctorat… Mais peu importe… les recommandations le concernant sont tellement Ă©logieuses… qu’on le nomme docteur en philologie… sans thèse… ce qui est unique… Nietzsche part donc pour la Suisse… et il profite Ă©galement pour renoncer Ă la nationalitĂ© prussienne… et pour demander la nationalitĂ© suisse… Mais comme celle-ci… ne lui est pas accordĂ©e… il se retrouve… apatride… Nietzsche n’a tout simplement plus de patrie… et d’une certaine manière… il s’en fĂ©licite… tant il se voit comme un homme cosmopolite…
Cela dit… malgrĂ© la perte de sa nationalitĂ© prussienne… et assez bizarrement… il ne pourra pas rĂ©primer un sentiment patriotique… quand la guerre entre la Prusse et la France Ă©clatera… en 1870… Il est pourtant largement dĂ©favorable Ă la guerre… comme je le disais tout Ă l’heure… et surtout il reste un grand admirateur de la France et de sa culture… Mais cela ne l’empĂŞche pas de s’engager… malgrĂ© les conseils de son ami Wagner et de sa femme Cosima… qui est devenue très proche… Elle lui dit que sa place n’est pas parmi les soldats… avec une arme Ă la main… et qu’il est bien plus utile ailleurs… Mais il va quand mĂŞme… Après une courte formation militaire… il est affectĂ© Ă un poste d’ambulancier… C’est l’occasion pour lui… de faire l’expĂ©rience concrète de la guerre et de ses horreurs… Il voit dĂ©filer les morts et les blessĂ©s qui reviennent des premières lignes… Il entend les cris de douleur… et Ă©prouve… lui le philosophe du surhumain… une certaine compassion… face Ă la souffrance… Le monde est souffrance… il le savait depuis sa lecture de Schopenhauer… mais il ne s’agissait que d’une souffrance mĂ©taphysique… celle de la volontĂ© sans fin… DĂ©sormais… la souffrance… il la regarde dans les yeux des mourants… Et c’est aussi une des raisons pour lesquelles… il va peu Ă peu s’éloigner de Wagner… jusqu’au moment de la rupture dĂ©finitive… Pourquoi ?… Et bien parce qu’il ne supporte plus son nationalisme… Comprenons bien… qu’entre 1870 et 1876… il a rendu de nombreuses au couple Wagner… et a partagĂ© avec des moments inoubliables… de complicitĂ© et d’amitiĂ© profonde… sans doute parmi les meilleurs souvenirs de sa vie… Mais Ă partir de 1876… date Ă laquelle… le théâtre de Bayreuth est construit et oĂą se tient le tout premier festival de Bayreuth… en aoĂ»t 1876 pour ĂŞtre prĂ©cis… et Wagner triomphe… il voit s’opĂ©rer un changement radical dans la personne de son ami… D’abord… Nietzsche dĂ©teste l’ambiance du festival… oĂą l’empereur d’Allemagne… ainsi de nombreuses tĂŞtes couronnĂ©es sont invitĂ©es… Mais surtout… il ne supporte pas de voir Wagner… en qui il avait cru voir un alliĂ©… rĂ©formateur de la culture… se comporter comme un valet… au service de l’État… et d’une musique officielle allemande… Il est dĂ©sormais le dĂ©fenseur d’une idĂ©ologie… dont la ligne est de plus en plus agressive contre les autres pays d’Europe… et antisĂ©mite… Le dĂ©goĂ»t de Nietzsche pour Wagner et sa musique… atteindra son paroxysme… avec l’opĂ©ra Parsifal… qui entend donner une reprĂ©sentation de la nationalitĂ© allemande… en la mĂŞlant au sang du Christ dans le Graal… ainsi qu’aux diffĂ©rents mythes celtes… Dans son livre… Ecce Homo… il Ă©crira 12 ans plus tard… que Wagner avait changé… qu’il ne le reconnaissait plus… et mĂŞme… que celui-ci Ă©tait tombĂ© plus bas que les pourceaux… c’est Ă dire parmi les Allemands… c’est dire tout le bien que Nietzsche pense des Allemands… Ecoutons-le… : « … P.183»… Fin de citation…Â
En ce sens… Nietzsche sent bien tout le danger pour sa pensée… à rester à proximité de Wagner… non seulement parce qu’il redoute qu’on l’assimile à ses idées et à son antisémitisme… ce que d’ailleurs la postérité ne manquera pas de faire… mais surtout parce que Wagner pourrait avoir tendance à se servir de l’oeuvre de Nietzsche pour sa propre gloire… Or… Nietzsche entend demeurer un esprit libre… S’il a accepté les idées de Wagner dans un premier temps… c’est parce qu’il était encore aveuglé par la personnalité écrasante du compositeur… ne voyant pas exactement le lien entre sa musique et la nationalisme allemand…
Par ailleurs… s’il a pu parler dans sa jeunesse d’invasion judaïque… ce qui lui est souvent reproché… c’est plus pour complaire à certains milieux de la bourgeoisie allemande… dont Wagner est très proche… et au sein de laquelle l’antisémitisme est alors extrêmement fort… que par conviction personnelle…
C’est ce qu’écrit… encore une fois Dorian Astor… toujours dans la biographie qu’il consacre Ă Nietzsche… Il dit : « … P.106 »… Fin de citation… En effet… l’étude de la correspondance de Nietzsche… nous rĂ©serve des surprises… et l’on ne peut qu’en ĂŞtre pour le moins Ă©tonné… voire attristé… Mais enfin… il est certain nĂ©anmoins… que dès qu’il comprend sur quel fond repose la musique de Wagner… il s’en Ă©carte… et que s’il a pu se montrer ambitieux… cela ne fait pas de lui un antisĂ©mite… De la mĂŞme manière… il considère que la victoire de l’Allemagne contre la France en 1870… est en rĂ©alitĂ© une totale dĂ©faite… selon son mot… car elle consacre tout ce qu’il condamne… et combat… L’histoire ne lui apparaĂ®t pas comme un progrès… Elle n’est pas l’affirmation et la victoire de la vie… mais au contraire le triomphe du rĂ©actif… du vulgaire… du dĂ©clinant… Pendant tout ce temps… en plus de la dĂ©ception que reprĂ©sente son amitiĂ© avec Wagner… n’oublions pas que Nietzsche… est de plus en plus soumis Ă une grande nervosité… ainsi qu’à toutes sortes de maladies… qui s’accumulant… le fatiguent de plus en plus… C’est pourtant pendant les annĂ©es 1870… qu’il se tourne dĂ©finitivement vers la philosophie… et demande un poste dans cette discipline Ă son université… demande qui sera d’ailleurs refusĂ©e… car on ne le considère pas comme un philosophe… et on lui fait remarquer que de nombreux auteurs de cette discipline… ainsi que bon nombre de leurs oeuvres lui sont encore inconnus… ce qui est blessant mais vrai… car Nietzsche est un autodidacte en philosophie… et sa culture philosophique prĂ©sente de grandes lacunes… Enfin… on lui fait remarquer que son doctorat ne repose pas sur un vrai travail de thèse… ce qui encore une fois est exact… Mais la vraie raison… est que la parution de la naissance de la tragĂ©die… lui a valu beaucoup de critiques… voire de nombreux ennemis… On le considère comme un personnage dĂ©lirant… et l’on comprend mal sa pensĂ©e… dans une Allemagne toute entière tournĂ©e vers l’empereur… et sa politique de domination… et fidèle au christianisme… Nietzsche est d’emblĂ©e un incompris… et le sera d’ailleurs de plus en plus… y compris au XX ème siècle… C’est un personnage qui n’est jamais vraiment Ă sa place… pour la bonne et simple raison… qu’il ne veut occuper aucune place prĂ©cise… mais au contraire tout remettre en cause… tout questionner… Et en ce sens… il est vraiment philosophe… n’en dĂ©plaise aux professeurs de philosophie de l’universitĂ© de Bâle… Il devient presque embarrassant de le frĂ©quenter… parce qu’il pense Ă l’encontre de toute son Ă©poque… Alors… en 1879… il dĂ©cide de quitter l’universitĂ© et de mettre un terme dĂ©finitif Ă son enseignement… C’est ainsi que commence pour lui… une pĂ©riode d’une dizaine d’annĂ©es… faites de voyages Ă travers l’Europe… On pourrait mĂŞme dire d’errance… entre la Suisse… notamment dans un village magnifique… au bord d’un lac au milieu des montagnes… du nom de Sils-Maria… oĂą Nietzsche trouve calme et repos… mais aussi en France… notamment Ă Nice oĂą il aime passer presque tous les hivers des annĂ©es 1880… et en Italie… Pendant tout ce temps… ses maladies… vont s’intensifier toujours plus… ce qui ne l’empĂŞchera pas d’écrire ses livres les plus importants… D’une certaine manière… en se dĂ©tachant Ă la fois de Schopenhauer… de Wagner… mais aussi du milieu universitaire… Nietzsche va pouvoir donner Ă sa pensĂ©e… une liberté… et une acuité… qu’il n’avait pas encore pu atteindre… Sur ce point… notons qu’il accorde de plus en plus d’intĂ©rĂŞt… Ă son style… lequel s’amĂ©liore par rapport Ă ses premiers Ă©crits… et devient plus aĂ©rien… plus lĂ©ger… plus incisif… bref… plus brillant… Il affectionne dĂ©sormais l’aphorisme… la phrase courte… ciselĂ©e comme un diamant… mais dont la forme permet une pluralitĂ© de sens possibles… comme s’il fallait pour le lecteur… la mĂ©riter… par une longue… une très longue mĂ©ditation personnelle… En ce sens… il est fascinĂ© par les moralistes français… comme La Rochefoucauld par exemple… dont il jalouse la prĂ©cision et la facilitĂ© dans le langage… De plus… comme les moralistes… il entend dĂ©masquer les hommes qui se cachent… derrière des conduites morales… Il veut montrer que toute morale… repose en rĂ©alité… sur un terreau fĂ©tide et immoral… que la vĂ©ritĂ© elle-mĂŞme se fonde sur du mensonge… et que toutes valeurs absolues se tient toujours sur une certaine volonté… une volontĂ© de domination… Sous des apparences vertueuses… celui qui fait la morale… et qui se prĂ©sente comme le dĂ©fenseur du bien… est toujours un menteur… qui vise le dĂ©ploiement d’une certaine puissance personnelle… Bref… Nietzsche aborde une pĂ©riode clé… celle de ce qu’on a pu appeler la philosophie du soupçon… et qui vise Ă faire la gĂ©nĂ©alogie des grandes valeurs morales… En ce sens… la fin des annĂ©es 1870… et ensuite toutes les annĂ©es 1880… seront celles des concepts clĂ© de sa pensĂ©e…
Dans le mĂŞme temps… Nietzsche… pense de plus en plus sĂ©rieusement Ă se marier… Cela dit… il n’entends pas faire un mariage d’amour… mais plus prosaĂŻquement… il cherche une compagne… capable de s’occuper du quotidien… ce qui lui laisserait tout le temps de se concentrer sur son travail… Le problème est qu’il a du mal Ă supporter toute compagnie… quand celle-ci ne le stimule pas intellectuellement… Nietzsche est donc face Ă ses propres contradictions… D’ailleurs… dans sa dĂ©marche mĂŞme… il fait preuve d’une attitude que l’on peut qualifier pour le moins… d’étrange… Par deux fois… il va demander une jeune femme en mariage… mais plutĂ´t que de se dĂ©clarer en personne… et de faire sa demande lui-mĂŞme… il prĂ©fère passer par un intermĂ©diaire… un ami… Ă qui il demande de faire sa demande pour lui… Attitude Ă©trange en effet… qui laisse prĂ©sumer que Nietzsche… soit Ă©tait trop timide pour agir par lui-mĂŞme… ce qui est possible… soit qu’il ne dĂ©sirait pas vraiment se marier… ce qui pour le coup… est très vraisemblable… D’une manière gĂ©nĂ©rale… l’amour ne frappe pas très souvent Ă la porte du philosophe… et il est indĂ©niable que sa vie… ait Ă©tĂ© d’une grande misère sexuelle… Simplement… il sait pertinemment que sa pensĂ©e ne peut se dĂ©ployer qu’à la condition qu’il lui consacre toutes les ressources de sa personne… toute son Ă©nergie et toute son attention… De fait… nous ne connaissons de la vie sexuelle de Nietzsche… que quelques relations avec des prostituĂ©es… auprès desquelles il aurait d’ailleurs contractĂ© la syphilis… d’après ces propres dires… en 1866… soit Ă l’âge de 21 ans… Pour certains… cette maladie… qu’on ne parvenait pas encore Ă soigner vraiment Ă cette Ă©poque… serait Ă l’origine des nombreux soucis de santĂ© de Nietzsche… On sait aussi qu’elle pouvait Ă©voluer en une perte des facultĂ©s mentales dans certains cas… et au bout de plusieurs annĂ©es… De lĂ Ă en conclure… que la folie de Nietzsche trouverait ici son explication dĂ©finitive… il n’y a qu’un pas que certains n’hĂ©siteront pas Ă franchir… Cependant… mĂŞme si l’explication semble intĂ©ressante… il est nĂ©anmoins difficile de rĂ©duire un tel phĂ©nomène… c’est Ă dire la dĂ©mence… Ă une seule explication… alors qu’elle relève surement d’un ensemble de circonstances… dont la concordance nous Ă©chappe toujours… Du reste… la folie de Nietzsche a souvent Ă©tĂ© un moyen bien commode pour ses nombreux ennemis… pour discrĂ©diter son Ĺ“uvre… en la rĂ©duisant aux Ă©lucubrations d’un insensé… d’un fou… d’un dĂ©ment… Mais de quoi s’agissait-il vraiment ?… Tumeur au cerveau… maladie cĂ©rĂ©brale dĂ©gĂ©nĂ©rative… nous en le saurons probablement jamais…
Pour ce qui est des demandes en mariages de Nietzsche… c’est la seconde… qui est la plus intĂ©ressante… et qui nous en apprendra le plus sur lui… puisqu’il s’agit de la seule femme… dont Ă la connaissance des biographes… il ait jamais vraiment Ă©tĂ© amoureux… Elle s’appelle Lou von Salomé… et elle est âgĂ©e de 21 ans quand Nietzsche fait sa connaissance… en 1882… par l’entremise de ses amis… Plus tard… elle deviendra l’une des premières femmes psychanalystes… après sa rencontre avec Freud… Simplement… si Nietzsche est amoureux d’elle… non seulement il n’est pas le seul… car un ami commun… du nom de Paul RĂ©e… l’est tout autant… lequel lui fait Ă©galement sa demande en mariage… mais surtout la jeune femme n’éprouve pas les mĂŞmes sentiments… et n’a pas l’intention de se marier pour le moment… Elle leur oppose donc… Ă tous deux… une fin de non recevoir… mais tout en continuant Ă les frĂ©quenter assidument… C’est ainsi que va se produire l’un des Ă©pisodes les plus mystĂ©rieux… de la vie de Nietzsche… quand lors d’une promenade… alors qu’ils sont en voyage dans le PiĂ©mont… avec Lou… la mère de cette dernière… et Paul RĂ©e… le philosophe entraĂ®ne la jeune femme… dans l’ascension d’une colline… le Mont sacrĂ© d’Orta… Ils s’éclipsent tous deux pendant plusieurs heures… attisant la jalousie de Paul… Plusieurs annĂ©es plus tard… quand l’on demandera Ă Lou si elle a embrassĂ© Nietzsche pendant cette escapade… elle rĂ©pondra qu’elle ne s’en souvient plus… Le philosophe… lui… en parlera comme le plus doux et le plus beau moment de sa vie… Lou… a-t-elle embrassĂ©e Nietzsche… sur le Monte Sacro… ?… La question reste entière… EspĂ©rons-le pour lui… mais laissons leurs secrets… aux amoureux… Ce qui est certain… en revanche… c’est que le philosophe va revenir Ă sa solitude… Lou mettant de plus en plus de distance entre elle et lui… Le mĂŞme jour… le trio se fera prendre en photo… Lou tenant les deux hommes… Nietzsche et Paul RĂ©e… sous le fouet…
Les annĂ©es qui suivront… seront les plus importantes du point de vue de l’écriture de ses livres… Parmi les grands textes… on compte Humain, trop humain avait dĂ©jĂ paru en 1878… Aurore… en 1881… Le gai savoir… en 82… Ainsi parlait Zarathoustra… qui paraĂ®t en deux temps… entre 1883 et 1885… Par delĂ bien et mal… en 1886… GĂ©nĂ©alogie de la morale… 87… et Ecce Homo… sorte d’autobiographie philosophique en 1888… Mais c’est notamment avec Aurore… que Nietzsche amorce une terrible attaque contre le christianisme… qu’il mènera maintenant jusqu’au bout… et radicalise sa critique contre la morale… dans laquelle il voit… une accusation de la vie elle-mĂŞme… Mais comprenons bien… que cela s’inscrit de façon parfaitement cohĂ©rente… dans son entreprise de recrĂ©ation et de renouvellement des valeurs europĂ©ennes… Pourquoi ?… D’abord… souvenons-nous que… comme je le disais tout Ă l’heure… une valeur… au sens nietzschĂ©en du terme… comme le bien ou la vĂ©rité… est une pulsion… C’est une pulsion… un instinct qui commence par s’opposer Ă d’autres instinct en concurrence avec elle… et qui… au bout du compte… finit par s’imposer Ă eux… Une valeur… c’est un instinct qui domine les autres… C’est qu’avec le temps… certaines valeurs se sont imposĂ©es… et elle se sont imposĂ©es Ă tel point… que Nietzsche dit… qu’elles ont Ă©tĂ© « incorporĂ©es »… c’est Ă dire… qu’elles sont se sont inscrites dans le corps des hommes… de manière Ă ce tout homme… les reconduisent… comme Ă©tant parfaitement naturelles… Ou si vous prĂ©fĂ©rez… nos valeurs ne sont pas inscrites dans notre conscience… mais d’abord dans notre corps… lequel n’est rien d’autres qu’un rĂ©seaux de pulsions et d’instincts… C’est dans le corps que les valeurs s’inscrivent… de façon inconscientes… et donc sans dĂ©bat… sans discussion… Or… explique Nietzsche… depuis 2000 ans… les valeurs dominantes en Occident… sont celles du christianisme… et de sa morale… Nietzsche considère la morale… comme un poison… une maladie… qui se rĂ©pand depuis deux millĂ©naires… dans l’organisme humain… pour le dominer… et distiller en lui… le poison de la mauvaise conscience… et de ce qu’il appelle l’idĂ©al ascĂ©tique… c’est Ă dire… une vaste entreprise de nĂ©gation de la vie… au profit des arrières mondes… Pour le dire simplement… fonder sa vie… sur la promesse d’atteindre un paradis… transcendant et donc hors du monde… c’est nier la nier la vie elle-mĂŞme… et se porter vers la mort… En ce sens… tout idĂ©al est en lui-mĂŞme mortifère… et il faut le comprendre comme le symptĂ´me d’une pathologie… d’un affaiblissement de la vie… bref… d’une dĂ©cadence… Il s’agit donc pour Nietzsche… d’inaugurer un long travail… de renversement de ces valeurs… et donc de changement des comportements… et de rapport au monde… Il faut s’en dĂ©livrer… car c’est une question de survie pour l’homme… ni plus ni moins… Simplement… si Nietzsche… voit bien que depuis l’avĂ©nement de ma modernité… les hommes se sont largement dĂ©tournĂ©s de Dieu… au sens de la religion… ils sont loin de s’en ĂŞtre totalement dĂ©livrĂ©s… car les valeurs instaurĂ©es par la religion… continuent d’exister sous d’autres formes… C’est le sens de sa cĂ©lèbre formule dans le Gai savoir… Dieu est mort… Comprenons que pour Nietzsche… Dieu est mort… parce que les hommes s’en sont Ă©mancipĂ©s… notamment par la science… Simplement… si la science n’a plus besoin de dieu pour expliquer le monde… elle est encore tributaire de ce qu’il reprĂ©sente… c’est Ă dire un absolu… Il reste donc comme une ombre de Dieu… qui plane… au dessus de toute notre conception de la connaissance… En ce sens… la science reconduit l’idĂ©e de Dieu… dès qu’elle prĂ©tend Ă une vĂ©rité… comme un idĂ©al absolu… et sur lequel elle fonde sa dĂ©marche de connaissance… Le dieu de la religion… ou la vĂ©ritĂ© de la science… c’est toujours le mĂŞme idĂ©al… et donc toujours la mĂŞme nĂ©gation de la vie… Dans ce contexte… tout l’enjeu du philosophe… dans les annĂ©es 1880… est d’évoluer d’une philosophie du soupçon et de la critique… Ă une philosophie de l’acceptation du rĂ©el… et d’amour de la vie… Se libĂ©rer de la morale… et de ses valeurs mortifères… pour vivre libre… C’est une transformation qui… pour Nietzsche… ne peut se faire que dans la longue… voire la très longue durĂ©e… car on ne change pas les valeurs comme ça… aussi facilement… Mais Nietzsche va plus loin… pour lui… la domination d’un certain type de valeur… correspond Ă ce qu’il appelle… une volontĂ© de puissance… Il ne s’agit pas d’une volontĂ© personnelle de domination… mais d’une certaine disposition Ă ĂŞtre au monde… Par exemple… tout individu… qu’il soit homme ou animal… et mĂŞme tout vĂ©gĂ©tal… est puissance… et il se veut lui-mĂŞme… il veut son propre accroissement… Simplement… Nietzsche constate… que… quand s’imposent des valeurs hostiles Ă la vie elle-mĂŞme… alors la volontĂ© de puissance se retourne contre elle-mĂŞme… Elle ne veut plus son accroissement… mais sa propre destruction… C’est ce qu’il appelle… la dĂ©cadence… L’homme de la morale… d’abord socratique… et ensuite chrĂ©tienne… est devenu dĂ©cadent… D’oĂą le dĂ©goĂ»t que l’homme Ă©prouve pour lui-mĂŞme… notamment Ă l’époque de la modernité… En ce sens… il faut pousser cette volontĂ© de puissance de la dĂ©cadence… et la nĂ©gation… Ă sa plus extrĂŞme limite… Ă son plus complet essoufflement… pour que la vie puisse se renouveler et donner naissance Ă un homme nouveau… celui qui sera libĂ©rĂ© de la morale… et qui vivra de manière affirmative…
C’est en ce sens qu’apparaît la notion de surhumain… et qui a souvent été la cause… de toutes les incompréhensions par rapport à Nietzsche… parce que… quand nous entendons le mot « surhumain »… nous entendons communément… individu supérieur… Ce qui explique la récupération de Nietzsche… et ensuite sa falsification… faite par l’Allemagne nazie… Du reste… sa sœur Elisabeth… n’hésitera pas à falsifier les textes de son frère… pour les transformer honteusement… et en faire une préfiguration du national-socialisme… et des propos de Hitler lui-même… dont elle était proche… En réalité… le surhumain… ne désigne aucun individu en particulier… et encore moins un peuple… ou une race… mais plutôt une capacité… à se détacher des valeurs dominantes… et à vivre sans elles… en dehors d’elles… Et donc à vivre libres… en affirmant son amour pour la vie… Et en effet… il faut une force surhumaine… pour accomplir une telle chose… D’abord parce que se détacher des valeurs que l’on a incorporées depuis des générations… et que l’on nous transmet dès la naissance… est une épreuve immense… et ensuite parce qu’affirmer l’amour de la vie… malgré la souffrance qu’elle implique… est une exigence au moins aussi grande… On voit donc que la pensée de Nietzsche… est d’abord et avant tout… une pensée de la vie… une pensée de l’affirmation de la vie… sur les puissances réactives… Il ne s’agit plus de se demander… comme chez toute une tradition de philosophes… quel est le sens à donner à la vie… ou vers quelle vérité elle peut tendre… mais plutôt qu’est-ce que la vérité peut bien apporter à la vie elle-même… Nietzsche inaugure tous les grands thèmes qui seront ceux du XXème siècle… la force des pulsions… l’interprétation et la déconstruction des valeurs… la remise en cause de la science… la puissance métaphorique du langage… l’éternel retour du même dans l’histoire… ou encore le rejet de la pensée systématique… et l’on peut à bon droit le considérer comme un penseur du XXème siècle… pour ne pas dire le plus grand… même si de son vivant… il ressent la douleur de la solitude et de l’incompréhension… C’est une pensée du renversement… ainsi qu’une philosophie de la volonté… et non plus de la vérité… C’est une pensée de la vie et du vivant… c’est à dire… du corps et de la santé… voire de la grande santé… celle qui s’accompagne de la joie…
Mais alors justement… oĂą en est la santĂ© de Nietzsche lui-mĂŞme… lui qui toute sa vie a Ă©tĂ© malade… et qui est… pourtant… le penseur de la victoire de la vie… ?… Ou si vous prĂ©fĂ©rez… comment penser la vie… quand on est… dès le plus jeune âge… marquĂ© par la mort… celle de son père et de son frère notamment… et par la souffrance ?… En effet… il souffre toute sa vie… Il est Ă moitiĂ© aveugle… il a des migraines Ă rĂ©pĂ©titions… voire traverse des pĂ©riodes de dĂ©pression plus ou moins sĂ©vères… Il n’arrive pas non plus Ă vivre un amour durable… quitte souvent ses amis… et se fâche avec eux… voire les combat… comme c’est le cas avec Wagner… ce qui lui laisse toujours des sĂ©quelles… dont il ne peut s’empĂŞcher de souffrir… Quand il apprend la mort de Wagner… il se demande mĂŞme Ă quoi bon continuer Ă vivre… Enfin… après l’épisode de Turin… dont je parlais au dĂ©but… il est internĂ© dans une clinique de Bâle… puis de IĂ©na… avant de revenir chez sa mère… laquelle s’occupera de lui avec sa sĹ“ur… ce qui est lĂ encore… certainement la pire fin qu’il pouvait craindre… tant il les dĂ©teste… Sa vie consciente… dure finalement peu de temps… puisqu’à partir de 1889… il va sombrer progressivement… mais très rapidement dans la folie… et enfin dans un Ă©tat vĂ©gĂ©tatif… jusqu’à sa mort… laquelle interviendra le 25 aoĂ»t 1900… Selon le mot de Lou Andreas-Salomé… bien après la mort de son ami philosophe… la vie de Nietzsche… est une biographie de la douleur… ce qui fait de sa philosophie… toujours selon elle… un combat hĂ©roĂŻque… Alors… encore une fois… comment comprendre cette pensĂ©e de la vie… et surtout cette acceptation malgrĂ© tout… ce consentement Ă la vie dirait Camus… ?… Peut-ĂŞtre la rĂ©ponse se rĂ©sume-t-elle ici… en deux mots… deux mots latins… amor fati… c’est Ă dire l’amour du destin… l’amour de l’inĂ©luctable… car Ă tout prendre… souffrir… c’est toujours la vie… Laissons donc la parole Ă Nietzsche lui-mĂŞme… au moment de nous quitter… pour qu’il nous exprime son unique souhait… son unique dĂ©sir… dans un texte intitulĂ© « Pour la nouvelle annĂ©e »… c’est Ă dire en somme… pour que la vie soit tous les jours… un nouveau dĂ©but… un nouveau commencement… Nous sommes au paragraphe 276… du Gai savoir… « … »…
Pour aller plus loin (hors les Ĺ“uvres de Nietzsche lui-mĂŞme) Â :
- Dorian Astor, Nietzsche, Gallimard, 2011
- Gilles Deleuze, Nietzsche, sa vie, son Ĺ“uvre, PUF, 1965
- Gilles Deleuze, Nietzsche et la philosophie, PUF, 1962
- Patrick Wotling, La philosophie de l’esprit libre. Introduction à Nietzsche, Flammarion, 2008
- Patrick Wotling, La pensée du sous-sol, Statut et structure de la psychologie dans la philosophie de Nietzsche, PUF, 1995
- Stefan Zweig, Nietzsche, Stock, 1930